[1] TRISTRAN Que nul senblant de rien en face. Com ele aprisme son ami, Oiez com el l’a devanci : 5 « Sire Tristran, por Deu le roi, Si grant pechié avez de moi, Qui me mandez a itel ore ! » Or fait senblant con s’ele plore. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . mie 10 . . . . . . . . . . . . . . . . . . mes en vie. . . . . . . . . . . . . . . . ceste asenblee . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .s’espee. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Conme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Par Deu, qui l’air fist et la mer, Ne me mandez nule foiz mais. Je vos di bien, Tristran, a fais, Certes, je n’i vendroie mie. 20 Li rois pense que par folie, Sire Tristran, vos aie amé ; Mais Dex plevis ma loiauté, Qui sor mon cors mete flaele, S’onques fors cil qui m’ot pucele 25 Out m’amistié encor nul jor ! [2] Se li felon de cest’enor, Por qui jadis vos conbatistes O le Morhout, quant l’oceïstes, Li font acroire (ce me senble) 30 Que nos amors jostent ensenble, Sire, vos n’en avez talent ; Ne je, par Deu omnipotent, N’ai corage de drüerie Qui tort a nule vilanie. 35 Mex voudroie que je fuse arse, Aval le vent la poudre esparse, Jor que je vive que amor Aie o home qu’o mon seignor ; Et, Dex ! si ne m’en croit il pas. 40 Je puis dire : de haut si bas ! Sire, mot dist voir Salemon : Qui de forches traient larron, Ja pus nes amera nul jor. Se li felon de cest’enor 45 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . txm.bfm-corpus.org 2 Base de français médiéval — Béroul : Tristan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . aise. . . parole a nos deüsent il celer. 50 Mot vos estut mal endurer De la plaie que vos preïstes En la batalle que feïstes O mon oncle. Je vos gari. Se vos m’en erïez ami, 55 N’ert pas mervelle, par ma foi ! Et il ont fait entendre au roi Que vos m’amez d’amor vilaine. Si voient il Deu et son reigne ! [3] Ja nul verroient en la face. 60 Tristran, gardez en nule place Ne me mandez por nule chose : Je ne seroie pas tant ose Que je i osase venir. Trop demor ci, n’en quier mentir. 65 S’or en savoit li rois un mot, Mon cors seret desmenbré tot, Et si seroit a mot grant tort ; Bien sai qu’il me dorroit la mort. Tristran, certes, li rois ne set 70 Que por lui par vos aie ameit : Por ce qu’eres du parenté Vos avoie je en cherté. Je quidai jadis que ma mere Amast mot les parenz mon pere ; 75 Et disoit ce, que ja mollier N’en avroit ja son seignor chier Qui les parenz n’en amereit. Certes, bien sai que voir diset. Sire, mot t’ai por lui amé 80 Et j’en ai tot perdu son gré. — Certes, et il n’en . . . . . . . . . Porqoi seroit tot suen li . . . . . Si home li ont fait acroire De nos tel chose qui n’est voire. 85 — Sire Tristran, que volez dire ? Mot est cortois li rois, mi sire ; Ja nu pensast nul jor par lui Q’en cest pensé fuson andui. Mais l’en puet home desveier, 90 Faire mal faire et bien laisier : Si a l’on fait de mon seignor. [4] Tristran, vois m’en, trop i demor. — Dame, por amor Deu, merci ! Mandai toi, et or es ici : txm.bfm-corpus.org 3 Base de français médiéval — Béroul : Tristan 95 Entent un poi a ma proiere. Ja t’ai je tant tenue chiere ! »   Quant out oï parler sa drue, Sout que s’estoit aperceüe. Deu en rent graces et merci, 100 Or set que bien istront de ci. « Ahi ! Yseut, fille de roi, Franche, cortoise, en bone foi Par plusors foiz vos ai mandee, Puis que chanbre me fu veee 105 Ne puis ne poi a vos parler. Dame, or vos vuel merci crïer, Qu’il vos menbre de cest chaitif Qui a traval et a duel vif ; Qar j’ai tel duel c’onques le roi 110 Out mal pensé de vos vers moi Qu’il n’i a el fors que je muere. Fort m’est a cuer que je . . . . . . Dame, granz . . . . . . . . . . . . . . . D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .ne fai . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . mon corage . . . . . . . . . . . . . . . . . . qu’il fust si sage Qu’il n’en creüst pas losengier 120 Moi desor lui a esloignier. Li fel covert Corneualeis Or en sont lié et font gabois. Or voi je bien, si con je quit, Qu’il ne voudroient que o lui [5] 125 Eüst home de son linage. Mot m’a pené son mariage. Dex ! porquoi est li rois si fol ? Ainz me lairoie par le col Pendre a un arbre q’en ma vie 130 O vos preïse drüerie. Il ne me lait sol escondire. Por ses felons vers moi s’aïre, Trop par fait mal qu’il les en croit : Deceü l’ont, gote ne voit. 135 Mot les vi ja taisant et muz, Qant li Morhot fu ça venuz, Ou nen i out uns d’eus tot sous Qui osast prendre ses adous. Mot vi mon oncle iluec pensis, 140 Mex vosist estre mort que vis. Por s’onor croistre m’en armai, Conbati m’en, si l’en chaçai. Ne deüst pas mis oncles chiers txm.bfm-corpus.org 4 Base de français médiéval 145 150 155 [6] 160 165 170 175 180 185 190 [7] txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan De moi croire ses losengiers. Sovent en ai mon cuer irié. Pensë il que n’en ait pechié ? Certes, oïl, n’i faudra mie. Por Deu, le fiz sainte Marie, Dame, ore li dites errant Qu’il face faire un feu ardant ; Et je m’en entrerai el ré. Se ja un poil en ai bruslé De la haire qu’avrai vestu, Si me laist tot ardoir u feu ; Qar je sai bien n’a de sa cort Qui a batalle o moi s’en tort. Dame, por vostre grant franchise, Donc ne vos en est pitié prise ? Dame, je vos en cri merci : Tenez moi bien a mon ami. Qant je vinc ça a lui par mer Com a seignor i vol torner. — Par foi, sire, grant tort avez, Qui de tel chose a moi parlez Que de vos le mete a raison Et de s’ire face pardon. Je ne vuel pas encor morir Ne moi du tot en tot perir. Il vos mescroit de moi forment, Et j’en tendrai le parlement ? Donc seroie je trop hardie. Par foi, Tristran, n’en ferai mie, Ne vos nu me devez requerre. Tote sui sole en ceste terre. Il vos a fait chanbres veer Por moi : s’il or m’en ot parler, Bien me porroit tenir por fole. Par foi, ja n’en dirai parole ; Et si vos dirai une rien, Si vuel que vos le saciés bien : Se il vos pardounot, beau sire, Par Deu, son mautalent et s’ire, J’en seroie joiose et lie. S’or savoit ceste chevauchie, Cel sai je bien que ja resort, Tristran, n’avreie contre mort. Vois m’en, imais ne prendrai some. Grant poor ai que aucun home Ne nos ait ci veü venir. S’un mot en puet li rois oïr Que nos fuson ça asenblé, Il me feroit ardoir en ré. 5 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Ne seret pas mervelle grant. Mis cors trenble, poor ai grant. 195 De la poor qui or me prent Vois m’en, trop sui ci longuement. » Iseut s’en torne, il la rapele : « Dame, por Deu, qui en pucele Prist por le pueple umanité, 200 Conselliez moi, par charité. Bien sai, n’i osez mais remaindre. Fors a vos ne sai a qui plaindre, Bien sai que mot me het li rois. Engagiez est tot mon hernois. 205 Car le me faites delivrer : Si m’en fuirai, n’i os ester. Bien sai que j’ai si grant prooise, Par tote terre ou sol adoise Bien sai que u monde n’a cort, 210 S’i vois, li sires ne m’avot. Et se onques point du suen oi, Yseut, par cest mien chief le bloi, Nel se voudroit avoir pensé Mes oncles, ainz un an passé, 215 Por si grant d’or com il est toz, Ne vos en qier mentir deus moz. Yseut, por Deu, de moi pensez, Envers mon oste m’aquitez. — Par Deu, Tristran, mot me mervel, 220 Qui me donez itel consel. Vos m’alez porchaçant mon mal. Icest consel n’est pas loial. Vos savez bien la mescreance, [8] Ou soit savoir ou set enfance. 225 Par Deu, li sire glorios, Qui forma ciel et terre et nos, Se il en ot un mot parler Que vos gages face aquiter, Trop par seroit aperte chose. 230 Certes, je ne suis pas si osse, Ne ce vos di por averté, Ce saciés vos de verité. »   Atant s’en est Iseut tornee, Tristran l’a plorant salüee. 235 Sor le perron de marbre bis Tristran s’apuie, ce m’est vis ; Demente soi a lui tot sol : « Ha ! Dex, beau sire saint Evrol, Je ne pensai faire tel perte 240 Ne foïr m’en a tel poverte ! N’en merré armes ne cheval, txm.bfm-corpus.org 6 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Ne conpaignon fors Governal. Ha ! Dex, d’ome desatorné ! Petit fait om de lui cherté. 245 Qant je serai en autre terre S’oi chevalier parler de gerre, Ge n’en oserai mot soner : Hom nu n’a nul leu de parler. Or m’estovra sofrir fortune, 250 Trop m’avra fait mal et rancune ! Beaus oncles, poi me deconnut Qui de ta feme me mescrut : Onques n’oi talent de tel rage. Petit savroit a mon corage. 255 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . [9] ........................... Li rois qui sus en l’arbre estoit Out l’asenblee bien veüe 260 Et la raison tote entendue. De la pitié q’au cor li prist, Qu’il ne plorast ne s’en tenist Por nul avoir ; mout a grant duel, Mot het le nain de Tintaguel. 265 « Las ! fait li rois, or ai veü Que li nains m’a trop deceü. En cest arbre me fist monter, Il ne me pout plus ahonter. De mon nevo me fist entendre 270 Mençonge, porqoi ferai pendre. Por ce me fist metre en aïr, De ma mollier faire haïr. Ge l’en crui et si fis que fous. Li gerredon l’en sera sous : 275 Se je le puis as poinz tenir, Par feu ferai son cors fenir. Par moi avra plus dure fin Que ne fist faire Costentin A Segoçon, qu’il escolla 280 Qant o sa feme le trova. Il l’avoit coroné a Rome Et la servoient maint prodome. Il la tint chiere et honora : En lié mesfist, puis en plora. » 285   Tristran s’en ert pieça alez. Li rois de l’arbre est devalez ; En son cuer dit or croit sa feme Et mescroit les barons du reigne, Que li faisoient chose acroire [10] 290 Que il set bien que n’est pas voire txm.bfm-corpus.org 7 Base de français médiéval 295 300 305 310 315 — Béroul : Tristan Et qu’il a prové a mençonge. Or ne laira qu’au nain ne donge O s’espee si sa merite Par lui n’iert mais traïson dite ; Ne jamais jor ne mescroira Tristran d’Iseut, ainz lor laira La chanbre tot a lor voloir : « Or puis je bien enfin savoir. Se feüst voir, ceste asenblee Ne feüst pas issi finee. S’il s’amasent de fol’amor, Ci avoient asez leisor, Bien les veïse entrebaisier. Ges ai oï si gramoier, Or sai je bien n’en ont corage. Porqoi cro je si fort outrage ? Ce poise moi, si m’en repent : Mot est fous qui croit tote gent. Bien deüse ainz avoir prové De ces deus genz la verité Que je eüse fol espoir. Buen virent aprimier cest soir. Au parlement ai tant apris Jamais jor n’en serai pensis. Par matinet sera paiez Tristran o moi, s’avra congiez D’estre a ma chanbre a son plesir. Or est remés li suen fuïrs Qu’il voloit faire le matin. » 320   Oiez du nain boçu Frocin. Fors estoit, si gardoit en l’er, [11] Vit Orïent et Lucifer. Des estoiles le cors savoit, Les set planestres devisoit ; 325 Il savoit bien que ert a estre : Qant il oiet un enfant nestre, Les poinz contot toz de sa vie. Li nains Frocins, plains de voisdie, Mot se penout de cel deçoivre 330 Qui de l’ame le feroit soivre. As estoiles choisist l’asente, De mautalent rogist et enfle, Bien set li rois fort le menace, Ne laira pas qu’il nu desface. 335 Mot est li nain nerci et pales, Mot tost s’en vet fuiant vers Gales. Li rois vait mot le nain querant, Nu puet trover, s’en a duel grant. txm.bfm-corpus.org 8 Base de français médiéval — Béroul : Tristan   Yseut est en sa chanbre entree. 340 Brengain la vit descoloree, Bien sout que ele avoit oï Tel rien dont out le cuer marri, Qui si muoit et palisoit ; Se li demande ce que doit. 345 Ele respont : « Bele magistre, Bien doi estre pensive et tristre. Brengain, ne vos vel pas mentir : Ne sai qui hui nos vout traïr, Mais li rois Marc estoit en l’arbre, 350 Ou li perrons estait de marbre. Je vi son onbre en la fontaine. Dex me fist parler premeraine. Onques de ce que je i quis [12] N’i out mot dit, ce vos plevis, 355 Mais mervellos conplaignement Et mervellos gemissement. Gel blasmé que il me mandot, Et il autretant me priout Que l’acordase a mon seignor, 360 Qui, a grant tort, ert a error Vers lui de moi ; et je li dis Que grant folie avoit requis, Que je a lui mais ne vendroie Ne ja au roi ne parleroie. 365 Ne sai que je plus racontasse. Conplainz i out une grant masse ; Onques li rois ne s’aperçut Ne mon estre ne desconnut. Partie me sui du tripot. » 370   Quant l’ot Brengain, mot s’en esjot : « Iseut, ma dame, grant merci Nos a Dex fait, qui ne menti, Qant il vos a fait desevrer Du parlement sanz plus outrer, 375 Que li rois n’a chose veüe Qui ne puise estr’en bien tenue. Granz miracles vos a fait Dex, Il est verais peres et tex Qu’il n’a cure de faire mal 380 A ceus qui sont buen et loial. »   Tristran ravoit tot raconté A son mestre com out ouvré. Qant conter l’ot, Deu en mercie Que plus n’i out fait o s’amie. 385 Ne pout son nain trover li rois. [13] Dex ! tant ert a Tristran sordois ! txm.bfm-corpus.org 9 Base de français médiéval 390 395 400 405 410 415 [14] 420 425 430 435 440 445 450 [15] txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan A sa chanbre li rois en vient. Iseut le voit, qui mot le crient : « Sire, por Deu, dont venez vos ? Avez besoin, qui venez sous ? — Roïne, ainz vien a vos parler Et une chose demander. Si ne me celez pas le voir, Qar la verté en vuel savoir. — Sire, onques jor ne vos menti. Se la mort doi recevoir ci, S’en dirai je le voir du tot : Ja n’i avra menti d’un mot. — Dame, veïs puis mon nevo ? — Sire, le voir vos en desno. Ne croiras pas que voir en die. Mais jel dirai sanz tricherie. Gel vi et pus parlai a lui, O ton nevo soz cel pin fui. Or m’en oci, roi, se tu veus. Certes, gel vi. Ce est grant deus ; Qar tu penses que j’aim Tristrain Par puterie et par anjen Si ai tel duel que moi n’en chaut Se tu me fais prendre un mal saut. Sire, merci a celle foiz ! Je t’ai voir dit : si ne m’en croiz, Einz croiz parole fole et vaine, Ma bone foi me fera saine. Tristran, tes niés, vint soz cel pin Qui est laienz en cel jardin, Si me manda qu’alasse a lui. Ne me dist rien, mais je li dui Anor faire non trop frarine. Par lui sui je de vos roïne. Certes, ne fusent li cuvert Qui vos dïent ce qui ja n’iert, Volantiers li feïse anor. Sire, jos tien por mon seignor, Et il est vostre niés, ç’oi dire. Por vos l’ai je tant amé, sire. Mais li felon, li losengier, Quil vuelent de cort esloignier, Te font acroire la mençonge. Tristran s’en vet : Dex lor en doinge Male vergoigne recevoir ! A ton nevo parlai ersoir : Mot se conplaint com angoisos, Sire, que l’acordasse a vos, Ge li dis ce, qu’il s’en alast, Nule foiz mais ne me mandast ; Qar je a lui mais ne vendroie Ne ja a vos n’en parleroie. Sire, de rien ne m’en creirez : Il n’i ot plus. Se vos volez, Ocïez moi ; mes c’iert a tort. Tristran s’en vet por le descort, Bien sai que outre la mer passe. Dist moi que l’ostel l’aquitasse : Nel vol de rien nule aquiter Ne longuement a lui parler. Sire, or t’ai dit le voir sanz falle : Se je te ment, le chief me talle. Ce saciez, sire, sanz doutance, Je li feïse l’aquitance, Se je osase, volentiers ; Ne sol quatre besanz entiers Ne li vol metre en s’aumosniere, 10 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Por ta mesnie noveliere. 455 Povre s’en vet, Dex le conduie ! Par grant pechié li donez fuie. Il n’ira ja en cel païs Dex ne li soit verais amis. »   Li rois sout bien qu’el ot voir dit, 460 Les paroles totes oït. Acole la, cent foiz la besse. El plore, il dit qu’ele se tese : Ja nes mescrerra mais nul jor Por dit de nul losengeor ; 465 Allent et viengent a lor buens. Li avoirs Tristran ert mes suens, Et li suens avoirs ert Tristrans. N’en crerra mais Corneualans. Or dit li rois a la roïne 470 Conme le felon nain Frocine Out anoncié le parlement Et com el pin plus hautement Le fist monter por eus voier A lor asenblement, le soir. 475 « Sire, estïez vos donc el pin ? — Oïl, dame, par saint Martin. Onques n’i ot parole dite Ge n’oïse, grant ne petite. Qant j’oï a Tristran retraire 480 La batalle que li fis faire, Pitié en oi, petit falli Que de l’arbre jus ne chaï. Et qant je vos oï retraire Le mal q’en mer li estut traire [16] 485 De la serpent dont le garistes, Et les grans biens que li feïstes, Et quant il vos requist quitance De ses gages, si oi pesance (Ne li vosistes aquiter 490 Ne l’un de vos l’autre abiter), Pitié m’en prist an l’arbre sus. Souef m’en ris, si n’en fis plus. — Sire, ce m’est mot buen forment. Or savez bien certainement 495 Mot avion bele loisor : Se il m’amast de fole amor, Asez en veïsiez senblant. Ainz, par ma foi, ne tant ne quant Ne veïstes qu’il m’aprismast 500 Ne mespreïst ne me baisast. Bien senble ce chose certaine : Ne m’amot pas d’amor vilaine. Sire, s’or ne nos veïsiez, txm.bfm-corpus.org 11 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Certes ne nos en creïsiez. 505 — Par Deu, je non, » li rois respont. « Brengain (que Dex anor te donst !), Por mon nevo va a l’ostel ; Et se il dit ou un ou el Ou n’i velle venir por toi, 510 Di je li mant qu’il vienge a moi. » Brengain li dit : « Sire, il me het : Si est a grant tort, Dex le set. Dit par moi est meslez o voz, La mort me veut tot a estros. 515 G’irai ; por vos le laisera Bien tost que ne me tochera. Sire, por Deu, acordez m’i, [17] Quant il sera venu ici. » Oiez que dit la tricherresse ! 520 Mot fist que bone lecherresse ; Lores gaboit a esscïent Et se plaignoit de mal talent. « Rois, por li vois, » ce dist Brengain. « Acordez m’i, si ferez bien. » 525 Li rois respont : « G’i metrai paine. Va tost poroc et ça l’amaine. »   Yseut s’en rist, et li rois plus. Brengain s’en ist les sauz par l’us. Tristran estoit a la paroi, 530 Bien les oiet parler au roi. Brengain a par les braz saisie, Acole la, Deu en mercie : D’or en avant avra loisir D’estre o Yseut a son plaisir. 535 Brengain mist Tristran a raison : « Sire, laienz en sa maison A li rois grant raison tenue De toi et de ta chiere drue. Pardoné t’a son mautalent, 540 Or het ceus qui te vont meslant. Proïe m’a que vienge a toi ; Ge ai dit que ire as vers moi. Fai grant senblant de toi proier, N’i venir mie de legier. 545 Se li rois fait de moi proiere, Fai par senblant mauvese chiere. » Tristran l’acole, si la beise ! Liez est que ore ra son esse. A la chanbre painte s’en vont, 550 La ou li rois et Yseut sont. [18] Tristran est en la chanbre entrez. « Niés, fait li rois, avant venez. txm.bfm-corpus.org 12 Base de français médiéval 555 560 565 570 — Béroul : Tristan Ton mautalent quite a Brengain, Et je te pardorrai le mien. — Oncle, chiers sire, or m’entendez : Legirement vos defendez Vers moi, qui ce m’avez mis sure Dont li mien cor el ventre pleure, Si grant desroi, tel felonie ! Dannez seroie et el honie. Ainz nu pensames, Dex le set. Or savez bien que cil vos het Qui te fait croire tel mervelle. D’or en avant meux te conselle, Ne portë ire a la roïne N’a moi, qui sui de vostre orine. — Non ferai je, beaus niés, par foi. » Acordez est Tristran au roi. Li rois li a doné congié D’estre a la chanbre : es le vos lié. Tristran vait a la chanbre et vient ; Nule cure li rois n’en tient.   Ha ! Dex, qui puet amor tenir Un an ou deus sanz descovrir ? 575 Car amors ne se puet celer : Sovent cline l’un vers son per, Sovent vienent a parlement, Et a celé et voiant gent. Par tot ne püent aise atendre, 580 Maint parlement lor estuet prendre.   A la cort avoit trois barons [19] Ainz ne veïstes plus felons. Par soirement s’estoient pris Que, se li rois de son païs 585 N’en faisot son nevo partir, Il nu voudroient mais soufrir, A lor chasteaus sus s’en trairoient Et au roi Marc gerre feroient. Qar, en un gardin, soz une ente, 590 Virent l’autrier Yseut la gente Ovoc Tristran en tel endroit Que nus hon consentir ne doit ; Et plusors foiz les ont veüz El lit roi Marc gesir toz nus. 595 Quar, quant li rois en vet el bois, Et Tristran dit : « Sire, g’en vois ; » Puis se remaint, entre en la chanbre, Iluec grant piece sont ensenble. « Nos li diromes nos meïmes. txm.bfm-corpus.org 13 Base de français médiéval 600 605 610 [20] 615 620 625 630 635 640 — Béroul : Tristan Alon au ro et si li dimes, Ou il nos aint ou il nos hast, Nos volon son nevo en chast. » Tuit ensenble ont ce consel pris. Li roi Marc ont a raison mis, A une part ont le roi trait : « Sire, font il, malement vet. Tes niés s’entraiment et Yseut, Savoir le puet qui c’onques veut ; Et nos nu volon mais sofrir. » Li rois l’entent, fist un sospir, Son chief abesse vers la terre, Ne set qu’il die, sovent erre. « Rois, ce dïent li troi felon, Par foi, mais nu consentiron ; Qar bien savon de verité Que tu consenz lor cruauté, Et tu sez bien ceste mervelle. Q’en feras tu ? Or t’en conselle ! Se ton nevo n’ostes de cort, Si que jamais nen i retort, Ne nos tenron a vos jamez, Si ne vos tendron nule pez. De nos voisins feron partir De cort, que nel poon soufrir. Or t’aron tost cest geu parti : Tote ta volenté nos di. — Seignor, vos estes mi fael. Si m’aït Dex, mot me mervel Que mes niés ma vergonde ait quise ; Mais servi m’a d’estrange guise. Conseliez m’en, gel vos requier. Vos me devez bien consellier, Que servise perdre ne vuel. Vos savez bien, n’ai son d’orguel. — Sire, or mandez le nain devin : Certes, il set de maint latin, Si en soit ja li consel pris. Mandez le nain, puis soit asis. » Et il i est mot tost venuz (Dehez ait il !) conme boçuz. Li un des barons l’en acole, Li rois li mostre sa parole.   Ha ! or oiez qel traïson Et con faite seducion 645 A dit au roi cil nain Frocin ! Dehé aient tuit cil devin ! [21] Qui porpensa tel felonie txm.bfm-corpus.org 14 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Con fist cist nain, qui Dex maudie ? « Di ton nevo q’au roi Artur, 650 A Carduel, qui est clos de mur, Covienge qu’il aut par matin ; Un brief escrit an parchemin Port a Artur toz les galoz, Bien seelé, a cire aclox. 655 Rois, Tristran gist devant ton lit. Anevoies, en ceste nuit, Sai que voudra a lui parler, Por ceu que devra la aler. Rois, de la chanbre is a prinsome. 660 Deu te jur et la loi de Rome, Se Tristran l’aime folement, A lui vendra a parlement ; Et s’il i vient, et ge nul sai, Se tu nu voiz, si me desfai, 665 Et tuit ti home outreement. Prové seront sanz soirement. Rois, or m’en laise covenir Et a ma volenté sortir, Et se li çole l’envoier 670 Desi qu’a l’ore du cochier. » Li rois respont : « Amis, c’ert fait. » Departent soi, chascun s’en vait.   Mot fu li nain de grant voidie, Mot par fist rede felonie. 675 Cil en entra chiés un pestor, Quatre derees prist de flor, Puis la lia a son gueron. Qui pensast mais tel traïson ?   La nuit, qant ot li rois mengié, [22] 680 Par la sale furent couchié. Tristran ala le roi couchier. « Beaus niés, fait il, je vos requier, Ma volenté faites, gel vuel. Au roi Artus, jusqu’a Carduel, 685 Vos covendra a chevauchier. Cel brief li faites desploier. Niés, de ma part le salüez, O lui c’un jor ne sejornez. » Du mesage ot Tristran parler, 690 Au roi respont de lui porter : « Rois, ge irai bien par matin. — O vos, ainz que la nuit ait fin. » Tristran fu mis en grant esfroi. Entre son lit et cel au roi 695 Avoit bien le lonc d’une lance. Trop out Tristran fole atenance : txm.bfm-corpus.org 15 Base de français médiéval — Béroul : Tristan En son cuer dist qu’il parleroit A la roïne, s’il pooit, Qant ses oncles ert endormiz. 700 Dex ! quel pechié ! trop ert hardiz !   Li nains la nuit en la chanbre ert : Oiez conment cele nuit sert. Entre deus liez la flor respant, Que li pas allent paraisant, 705 Se l’un a l’autre la nuit vient : La flor la forme des pas tient. Tristran vit le nain besuchier Et la farine esparpellier. Porpensa soi que ce devoit, 710 Qar si servir pas ne soloit ; Pus dist : « Bien tost a ceste place Espandroit flor por nostre trace [23] Veer, se l’un a l’autre iroit. Qui iroit or, que fous feroit ; 715 Bien verra mais se or i vois. » Le jor devant, Tristran, el bois, En la janbe nafrez estoit D’un grant sengler, mot se doloit. La plaie mot avoit saignié. 720 Deslïez ert, par son pechié. Tristran ne dormoit pas, ce quit ; Et li rois live a mie nuit, Fors de la chanbre en est issuz ; O lui ala li nain boçuz. 725   Dedenz la chanbre n’out clartez, Cirge ne lanpë alumez. Tristran se fu sus piez levez. Dex ! porqoi fut ? Or escoutez ! Les piez a joinz, esme, si saut, 730 El lit le roi chaï de haut. Sa plaie escrive, forment saine ; Le sanc qui’nn1ist les dras ensaigne. La plaie saigne ; ne la sent, Qar trop a son delit entent. 735 En plusors leus li sanc aüne. Li nains defors est. A la lune Bien vit josté erent ensenble Li dui amant. De joie en trenble, Et dist au roi : « Se nes puez prendre 740 Ensenble, va, si me fai pendre. »   Iluec furent li troi felon Par qui fu ceste traïson Porpensee priveement. 1.  Sic « nn » dans l’édition ! txm.bfm-corpus.org 16 Base de français médiéval 745 [24] 750 755 760 765 770 775 [25] 780 785 790 txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan Li rois s’en vient. Tristran l’entent, Live du lit, tot esfroïz, Errant s’en rest mot tost salliz. Au tresallir que Tristran fait, Li sans decent (malement vait) De la plaie sor la farine. Ha ! Dex, qel duel que la roïne N’avot les dras du lit ostez ! Ne fust la nuit nus d’eus provez. Se ele s’en fust apensee, Mot eüst bien s’anor tensee. Mot grant miracle Deus i out, Quis garanti, si con li plot. Li ros a sa chanbre revient ; Li nain, que la chandele tient, Vient avoc lui. Tristran faisoit Senblant conme se il dormoit ; Quar il ronfloit forment du nes. Seus en la chanbre fu remés, Fors tant que a ses piés gesoit Pirinis, qui ne s’esmovoit, Et la roïne an son lit jut. Sor la flor, chauz, li sanc parut. Li rois choisi el lit le sanc : Vermel en furent li drap blanc, Et sor la flor en pert la trace, Du saut. Li rois Tristran menace. Li troi baron sont en la chanbre, Tristran par ire an son lit prenent (Cuelli l’orent cil en haïne, Por sa prooise), et la roïne, Laidisent la, mot la menacent, Ne lairont justise n’en facent. Voient la janbe qui li saine. « Trop par a ci veraie enseigne : Provez estes, » ce dist li rois ; « Vostre escondit n’i vaut un pois. Certes, Tristran, demain, ce quit, Soiez certains d’estre destruit. » Il li crie : « Sire, merci ! Por Deu, qui pasion soufri, Sire, de nos pitié vos prenge ! » Li fel dïent : « Sire, or te venge. — Beaus oncles, de moi ne me chaut : Bien sai, venuz sui a mau saut. Ne fust por vos a corocier, Cist plez fust ja venduz mot chier ; Ja, por lor eulz, ne le pensasent Que ja de lor mains m’atochasent ; 17 Base de français médiéval 795 800 805 810 [26] 815 820 825 — Béroul : Tristan Mais envers vos n’en ai je rien. Or, tort a mal ou tort a bien, De moi ferez vostre plesir, Et je sui prest de vos soufrir. Sire, por Deu, de la roïne Aiez pitié ! » Tristran l’encline. « Qar il n’a home en ta meson, Se disoit ceste traïson Que pris eüse drüerie O la roïne par folie, Ne m’en trovast en chanp, armé. Sire, merci de li, por Dé ! » Li troi qui an la chanbre sont Tristran ont pris et lïé l’ont, Et lïee ront la roïne. Mot est torné a grant haïne. Ja, se Tristran ice seüst Que escondire nul leüst, Mex se laisast vif depecier Que lui ne lié soufrist lïer. Mais en Deu tant fort se fiot Que bien savoit et bien quidoit, S’a escondit peüst venir, Nus nen osast armes saisir Encontre lui, lever ne prendre : Bien se quidoit par chanp defendre. Por ce ne vout envers le roi Mesfaire soi por nul desroi ; Qar, s’il seüst ce que en fut Et ce qui avenir lor dut, Il les eüst tüez toz trois, Ja ne les en gardast li rois. Ha ! Dex, porqoi ne les ocist ? A mellor plait asez venist.   Li criz live par la cité Qu’endui sont ensenble trové Tristran et la roïne Iseut 830 Et que li rois destruire eus veut. Pleurent li grant e li petit, Sovent l’un d’eus a l’autre dit : « A ! las, tant avon a plorer ! Ahi ! Tristran, tant par es ber ! 835 Qel damage qu’en traïson Vos ont fait prendre cil gloton ! Ha ! roïne franche, honoree, En qel terre sera mais nee Fille de roi qui ton cors valle ? 840 Ha ! nains, ç’a fait ta devinalle ! txm.bfm-corpus.org 18 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Ja ne voie Deu en la face, Qui trovera le nain en place, Qui nu ferra d’un glaive el cors ! [27] Ahi ! Tristran, si grant dolors 845 Sera de vos, beaus chiers amis, Qant si seroiz a destroit mis ! Ha ! las, quel duel de vostre mort ! Qant le Morhout prist ja ci port, Qui ça venoit por nos enfanz, 850 Nos barons fist si tost taisanz Que onques n’ot un si hardi Qui s’en osast armer vers lui. Vos enpreïstes la batalle Por nos trestoz de Cornoualle 855 Et oceïstes le Morhout. Il vos navra d’un javelot, Sire, dont tu deüs morir. Ja ne devrion consentir Que vostre cors fust ci destruit. » 860 Live la noisë et li bruit ; Tuit en corent droit au palés. Li rois fu mot fel et engrés ; N’i ot baron tant fort ne fier Qui ost le roi mot araisnier 865 Qu’i li pardonast cel mesfait.   Or vient li jor, la nuit s’en vait. Li rois conmande espines querre Et une fosse faire en terre. Li rois, tranchanz, demaintenant 870 Par tot fait querre les sarmenz Et assenbler o les espines Aubes et noires o racines. Ja estoit bien prime de jor. Li banz crïerent par l’enor, 875 Que tuit en allent a la cort. Cil qui plus puet plus tost acort. [28] Asenblé sont Corneualeis. Grant fu la noise et li tabois : N’i a celui ne face duel, 880 Fors que li nains de Tintajol. Li rois lor a dit et monstré Qu’il veut faire dedenz un ré Ardoir son nevo et sa feme. Tuit s’escrïent la gent du reigne : 885 « Rois, trop ferïez lai pechié, S’il n’estoient primes jugié. Puis les destrui. Sire, merci ! » Li rois par ire respondi : « Par cel seignor qui fist le mont, txm.bfm-corpus.org 19 Base de français médiéval — Béroul : Tristan 890 Totes les choses qui i sont, Por estre moi desherité Ne lairoie nes arde en ré. Se j’en sui araisnié jamais, Laisiez m’en tot ester en pais. » 895 Le feu conmande a alumer Et son nevo a amener, Ardoir le veut premierement. Or vont por lui, li rois l’atent.   Lors l’en ameinent par les mains : 900 Par Deu, trop firent que vilains ! Tant ploroit, mais rien ne li monte, Fors l’en ameinent a grant honte. Yseut plore, par poi n’enrage : « Tristran, fait ele, quel damage 905 Qu’a si grant honte estes lïez ! Qui m’oceïst, si garisiez, Ce fust grant joie, beaus amis ; Encore en fust vengement pris. » [29]   Oez, seignors, de Damledé, 910 Conment il est plains de pité ; Ne vieat pas mort de pecheor. Receü out le cri, le plor Que faisoient la povre gent Por ceus qui eirent a torment. 915   Sor la voie par ont il vont, Une chapele est sor un mont, U coin d’une roche est asise. Sor mer ert faite, devers bise. La part que l’en claime chancel 920 Fu asise sor un moncel ; Outre n’out rien fors la falise. Cil mont est plain de pierre alise. S’uns escureus de lui sausist, Si fust il mort, ja n’en garist. 925 En la dube out une verrine, Que un sainz i fist, porperine. Tristran ses meneors apele : « Seignors, vez ci une chapele : Por Deu, quar m’i laisiez entrer. 930 Pres est mes termes de finer : Preerai Deu qu’il merci ait De moi, quar trop li ai forfait. Seignors, n’i a que ceste entree ; A chacun voi tenir s’espee. 935 Vos savez bien ne pus issir, Par vos m’en estuet revertir ; Et quant je Dé proié avrai, A vos eisinc lors revendrai. » txm.bfm-corpus.org 20 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Or l’a l’un d’eus dit a son per : 940 « Bien le poon laisier aler. » Les lïans sachent, il entre enz. [30] Tristran ne vait pas conme lenz, Triés l’autel vint a la fenestre, A soi l’en traist a sa main destre, 945 Par l’overture s’en saut hors. Mex veut sallir que ja ses cors Soit ars, voiant tel aünee. Seignors, une grant pierre lee Out u mileu de cel rochier : 950 Tristran i saut mot de legier. Li vens le fiert entre les dras, Quil defent qu’il ne chie a tas. Encor claiment Corneualan Cele pierre le Saut Tristran. 955 La chapele ert plaine de pueple. Tristran saut sus ; l’araine ert moble. Toz a genoz chiet en la glise. Cil l’atendent defors l’iglise, Mais por noient : Tristran s’en vet, 960 Bele merci Dex li a fait ! La riviere granz sauz s’en fuit. Mot par ot bien le feu qui bruit, N’a corage que il retort, Ne puet plus corre que il cort. 965   Mais or oiez de Governal : Espee çainte, sor cheval, De la cité s’en est issuz. Bien set, se il fust conseüz, Li rois l’arsist por son seignor ; 970 Fuiant s’en vait por la poor. Mot ot li mestre Tristran chier, Qant il son brant ne vout laisier, Ançois le prist la ou estoit ; Avoc le suen l’en aportoit. [31] 975 Tristran son mestrë aperceut, Ahucha le (bien le connut) ; Et il i est venuz a hait. Qant il le vit, grant joie en fait. « Maistre, ja m’a Dex fait merci : 980 Eschapé sui, et or sui ci. Ha ! las, dolent, et moi que chaut ? Qant n’ai Yseut, rien ne me vaut. Dolent ! le saut que orainz fis ! Que dut ice que ne m’ocis ? 985 Ce me peüst estre mot tart. Eschapé sui ! Yseut, l’en t’art ! Certes, por noient eschapai. txm.bfm-corpus.org 21 Base de français médiéval 990 995 1000 1005 [32] 1010 1015 1020 1025 1030 1035 txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan En l’art por moi, por li morrai. » Dist Governal : « Por Deu, beau sire, Confortez vos, n’acuelliez ire. Veez ci un espés buison, Clos a fossé tot environ. Sire, meton nos la dedenz. Par ci trespasse maintes genz : Asez orras d’Iseut novele. Et se en l’art, jamais en cele Ne montez vos, se vos briment N’en prenez enprés vengement ! Vos en avrez mot bone aïe. Ja, par Jesu, le fiz Marie, Ne gerrai mais dedenz maison Tresque li troi felon larron Par quoi’st destruite Yseut ta drue En avront la mort receüe. S’or estïez, beau sire, ocis, Que vengement n’en fust ainz pris. Jamais nul jor n’avroie joie. » Tristran respont : « Trop vos anoie : Beau mestre, n’ai point de m’espee. — Si as, que je l’ai aportee. » Dist Tristran : « Maistre, donc est bien. Or ne criem, fors Deu, imais rien. — Encor ai je soz ma gonele Tel rien qui vos ert bone et bele, Un hauberjon fort et legier, Qui vos porra avoir mestier. — Dex ! dist Tristran, balliez le moi. Par icel Deu en qui je croi, Mex vuel estre tot depeciez, Se je a tens i vien, au rez, Ainz que getee i soit m’amie, Ceus qui la tienent nen ocie. » Governal dist : « Ne te haster. Tel chose te puet Dex doner Que te porras mot mex venger ; N’i avras pas tel destorbier Con tu porroies or avoir. N’i voi or point de ton pooir, Quar vers toi est iriez li rois ; Avocques sont tuit li borjois Et trestuit cil de la cité. Sor lor eulz a toz conmandé Que cil qui ainz te porra prendre, S’il ne te prent, fera le pendre. Chascun aime mex soi qu’autrui : Se l’en levout sor toi le hui, 22 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Tex te voudroit bien delivrer, Ne l’oseret neis porpenser. » Plore Tristran, mot fait grant duel. 1040 Ja, por toz ceus de Tintajol, [33] S’en le deüst tot depecier, Qu’il n’en tenist piece a sa per, Ne laisast il qu’il n’i alast, Se son mestre ne li veiast. 1045   En la chanbrë un mes acort, Qui dist Yseut qu’ele ne plort, Que ses amis est eschapez. « Dex, fait elë, en ait bien grez ! Or ne me chaut se il m’ocïent 1050 Ou il me lïent ou deslïent. » Si l’avoit fait lïer li rois, Par le conmandement as trois, Qu’il li out si les poinz estroiz Li sanc li est par toz les doiz. 1055 « Par Deu ! fait el, se je mes jor Qant li felon losengeor Qui garder durent mon ami L’ont deperdu, la Deu merci, Ne me devroit l’on mes proisier. 1060 Bien sai que li nains losengier Et li felons, li plain d’envie, Par qui consel j’ere perie, En avront encor lor deserte. Torner lor puise a male perte ! » 1065   Seigneur, au roi vient la novele Q’eschapez est par la chapele Ses niés, qui il devoit ardoir. De mautalent en devint noir, De duel ne set con se contienge ; 1070 Par ire rove qu’Yseut vienge. Yseut est de la sale issue. La noise live par la rue. Qant la dame lïee virent [34] (A laidor ert), mot s’esfroïrent. 1075 Qui ot le duel qu’il font por li, Com il crïent a Deu merci ! « Ha ! roïne franche, honoree, Qel duel ont mis en la contree Par qui ceste novele est sorse ! 1080 Certes, en asez poi de borse En porront metre le gaain. Avoir en puisent mal mehain ! »   Amenee fu la roïne Jusquë au ré ardant d’espine, 1085 Dinas, li sire de Dinan, txm.bfm-corpus.org 23 Base de français médiéval 1090 1095 1100 1105 [35] 1110 1115 1120 1125 1130 txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan Qui a mervelle amoit Tristran, Se lait choier au pié le roi : « Sire, fait il, entent a moi. Je t’ai servi mot longuement Sanz vilanie, loiaument. Ja n’avras home en tot cest reigne, Povre orfelin ne vielle feme, Qui por vostre seneschaucie, Que j’ai eü tote ma vie, Me donast une beauveisine. Sire, merci de la roïne ! Vos la volez sanz jugement Ardoir en feu : ce n’est pas gent, Qar cest mesfait ne connoist pas. Duel ert, se tu le suen cors ars. Sire, Tristran est eschapez ; Les plains, les bois, les pas, les guez Set forment bien, et mot est fiers. Vos estes oncle et il tes niés : A vos ne mesferoit il mie. Mais vos barons, en sa ballie S’il les trovout nes vilonast, Encor en ert ta terre en gast. Sire, certes, ne quier noier, Qui avroit sol un escuier Por moi destruit ne an feu mis, Se iere roi de set païs, Ses me metroit il en balence Ainz que n’en fust prise venjance. Pensez que de si franche feme, Qu’il amena de lointain reigne, Que lui ne poist s’ele est destruite ? Ainz en avra ancor grant luite. Rois, rent la moi, par la merite Que servi t’ai tote ma vite. » Li troi par qui cest’ovre sort Sont devenu taisant et sort ; Qar bien sevent Tristran s’en vet, Mot grant dote ont qu’il nes aget. Li rois prist par la main Dinas, Par ire a juré saint Thomas Ne laira n’en face justise Et qu’en ce fu ne soit la mise, Dinas l’entent, mot a grant duel. Ce poise li : ja par son vuel Nen iert destruite la roïne. En piez se live o chiere encline : « Rois, je m’en vois jusqu’a Dinan. Par cel seignor qui fist Adan, 24 Base de français médiéval — Béroul : Tristan 1135 Je ne la verroië ardoir Por tot l’or ne por tot l’avoir C’onques ourent li plus riche home Qui furent des le bruit de Rome. » Puis monte el destrier, si s’en torne, [36] 1140 Chiere encline, marriz et morne.   Iseut fu au feu amenee, De gent fu tote avironee, Qui trestuit braient et tuit crïent, Les traïtors le roi maudïent. 1145 L’eve li file aval le vis. En un bliaut de paile bis Estoit la dame, estroit vestue Et d’un fil d’or menu cosue. Si chevel hurtent a ses piez, 1150 D’un filet d’or les ot trechiez. Qui voit son cors et sa fachon, Trop par avroit le cuer felon Qui n’en avroit de lié pitié. Mot sont li braz estroit lïé. 1155   Un malade out en Lancïen, Par non fu apelé Ivein ; A mervelle par fu desfait. Acoru fu voier cel plait, Bien out o lui cent conpaignons 1160 O lor puioz, o lor bastons : Ainz ne veïstes tant si lait Ne si boçu ne si desfait. Chacun tenoit sa tartarie ; Crïent au roi a voiz serie : 1165 « Sire, tu veus faire justise, Ta feme ardoir en ceste gise. Granz est ; mes se je ainz rien soi, Ceste justise durra poi. Mot l’avra tost cil grant feu arse 1170 Et la poudre cist venz esparse. Cest feu charra : en ceste brese [37] Ceste justise ert tost remese. Tel justise de li ferez ; Mais, se vos croire me volez 1175 Et que voudroit mex mort avoir Qu’ele vivroit, et sanz valoir, Et que nus n’en orroit parler Qui plus ne t’en tenist por ber. Rois, voudroies le faire issi ? » 1180 Li rois l’entent, si respondi : « Se tu m’enseignes cest, sanz falle, Qu’ele vivë et que ne valle, Gré t’en savrai, ce saches bien ; txm.bfm-corpus.org 25 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Et se tu veus, si pren du mien. 1185 Onques ne fu dit tel maniere, Tant dolerose ne tant fire, Qui orendroit tote la pire Seüst, por Deu le roi, eslire, Que il n’eüst m’amor tot tens. » 1190 Ivains respont : « Si con je pens Je te dirai, asez briment. Veez, j’ai ci conpaignons cent : Yseut nos done, s’ert conmune. Paior fin dame n’ot mais une. 1195 Sire, en nos a si grant ardor Soz ciel n’a dame qui un jor Peüst soufrir nostre convers : Li drap nos sont au cors aers. O toi soloit estre a honor, 1200 O vair, o gris et o baudor ; Les buens vins i avoit apris Es granz soliers de marbre bis. Se la donez a nos meseaus, Qant el verra nos bas bordeaus [38] 1205 Et eslira l’escouellier Et l’estovra a nos couchier (Sire, en leu de tes beaus mengiers Avra de pieces, de quartiers Que l’en nos envoi’a ces hus), 1210 Por cel seignor qui maint lasus, Qant or verra la nostre cort, Adonc verra si desconfort. Donc voudroit miex morir que vivre, Donc savra bien Yseut la givre 1215 Que malement avra ovré : Mex voudroit estre arse en un ré. »   Li rois l’entent, en piez estut Ne de grant pice ne se mut. Bien entendi que dit Ivain, 1220 Cort a Yseut, prist l’a la main. Ele crie : « Sire, merci ! Ainz que m’i doignes, art moi ci. » Li rois li done, et cil la prent. Des malades i ot bien cent, 1225 Qui s’aünent tot entor li. Qui ot le brait, qui ot le cri, A tote genz en prent pitiez. Qui q’en ait duel, Yvains est liez, Vait s’en Yseut, Yvains l’en meine 1230 Tot droit aval, par sus l’araine. Des autres meseaus li conplot (N’i a celui n’ait son puiot) txm.bfm-corpus.org 26 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Tot droit vont vers l’enbuschement Ou ert Tristran, qui les atent. 1235 A haute voiz Governal crie : « Filz, que feras ? Ves ci t’amie. — Dex ! dist Tristran, quel aventure ! [39] Ahi ! Yseut, bele figure, Con deüstes por moi morir 1240 Et je redui por vos perir, Tel gent vos tienent entre mains, De ce soient il toz certains, Se il n’os laisent en present, Tel i ara ferai dolent. » 1245 Fiert le destrier, du buison saut, A qant qu’il puet s’escrie en haut : « Yvain, asez l’avez menee. Laisiez la tost, qu’a cest’espee Ne vos face le chief voler. » 1250 Ivain s’aqeut a desfubler, En haut s’escrie : « Or as puioz ! Or i parra qui ert des noz. » Qui ces meseaus veïst soffler, Oster chapes et desfubler ! 1255 Chascun li crolle sa potence, Li uns menace et l’autre tence. Tristran n’en vost rien atochier Ne entester ne laidengier. Governal est venuz au cri, 1260 En sa main tint un vert jarri Et fiert Yvain, qui Yseut tient. Li sans li chiet, au pié li vient. Bien aïde a Tristran son mestre, Yseut saisist par la main destre. 1265 Li conteor dïent qu’Yvain Firent nïer, qui sont vilain ; N’en sevent mie bien l’estoire, Berox l’a mex en sen memoire, Trop ert Tristran preuz et cortois 1270 A ocirre gent de tes lois. [40] Tristran s’en voit a la roïne ; Lasent le plain, et la gaudine S’en vet Tristran et Governal. Yseut s’esjot, or ne sent mal. 1275 En la forest de Morrois sont, La nuit jurent desor un mont. Or est Tristran si a seür Con s’il fust en chastel o mur.   En Tristran out mot buen archier, 1280 Mot se sout bien de l’arc aidier. Governal en ot un toloit txm.bfm-corpus.org 27 Base de français médiéval — Béroul : Tristan A un forestier quil tenoit, Et deus seetes enpenees, Barbelees, ot l’en menees. 1285 Tristran prist l’arc, par le bois vait, Vit un chevrel, ancoche et trait, El costé destre fiert forment : Brait, saut en haut et jus decent. Tristran l’a pris, atot s’en vient. 1290 Sa loge fait : au brant qu’il tient Les rains trenche, fait la fullie ; Yseut l’a bien espés jonchie. Tristran s’asist o la roïne. Governal sot de la cuisine, 1295 De seche busche fait buen feu. Mot avoient a faire queu ! Il n’avoient ne lait ne sel A cele foiz a lor ostel. La roïne ert forment lassee 1300 Por la poor qu’el ot passee ; Somel li prist, dormir se vot, Sor son ami dormir se vot. [41]   Seignors, eisi font longuement En la forest parfondement, 1305 Longuement sont en cel desert. Oiez du nain com au roi sert. Un consel sot li nains du roi, Ne sot que il. Par grant desroi Le descovri : il fist que beste, 1310 Qar puis an prist li rois la teste. Li nain ert ivres, li baron Un jor le mistrent a raison Que ce devoit que tant parloient, Il et li rois, et conselloient. 1315 « A celer bien un suen consel Mot m’a trové toz jors feel. Bien voi que le volez oïr, Et je ne vuel ma foi mentir. Mais je merrai les trois de vos 1320 Devant le Gué Aventuros. Et iluec a une aube espine, Une fosse a soz la racine : Mon chief porai dedenz boter Et vos m’orrez defors parler. 1325 Ce que dirai, c’ert du segroi Dont je sui vers le roi par foi. » Li baron vienent a l’espine, Devant eus vient li nains Frocine. Li nains fu cort, la teste ot grose, 1330 Delivrement ont fait la fosse, txm.bfm-corpus.org 28 Base de français médiéval 1335 [42] 1340 1345 1350 — Béroul : Tristan Jusq’as espaules l’i ont mis. « Or escoutez, seignor marchis ! Espine, a vos, non a vasal : Marc a orelles de cheval. » Bien ont oï le nain parler. S’avint un jor, aprés disner, Parlout a ses barons roi Marc, En sa main tint d’auborc un arc. Atant i sont venu li troi A qui li nains dist le secroi, Au roi dïent priveement : « Rois, nos savon ton celement. » Li rois s’en rist et dist : « Ce mal Que j’ai orelles de cheval, M’est avenu par cest devin : Certes, ja ert fait de lui fin. » Traist l’espee, le chief en prent. Mot en fu bel a mainte gent, Que haoient le nain Frocine Por Tristran et por la roïne.   Seignors, mot avez bien oï Conment Tristran avoit salli Tot contreval, par le rochier, Et Governal sor le destrier 1355 S’en fu issuz, quar il cremoit Qu’il fust ars, se Marc le tenoit. Or sont ensenble en la forest, Tristran de veneison les pest. Longuement sont en cel boschage. 1360 La ou la nuit ont herberjage, Si s’en trestornent au matin. En l’ermitage frere Ogrin Vindrent un jor, par aventure. Aspre vie meinent et dure : 1365 Tant s’entraiment de bone amor L’un por l’autre ne sent dolor.   Li hermite Tristran connut, [43] Sor sa potence apoié fu ; Aresne le, oiez conment : 1370 « Sire Tristran, grant soirement A l’en juré par Cornoualle, Qui vos rendroit au roi, sanz falle Cent mars avroit a gerredon. En ceste terre n’a baron 1375 Au roi ne l’ait plevi en main, Vos rendre a lui o mort ou sain. » Ogrins li dit mot bonement : « Par foi ! Tristan, qui se repent txm.bfm-corpus.org 29 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Deu du pechié li fait pardon 1380 Par foi et par confession. » Tristran li dit : « Sire, par foi, Que ele m’aime en bone foi, Vos n’entendez pas la raison : Q’el m’aime, c’est par la poison. 1385 Ge ne me pus de lié partir, N’ele de moi, n’en quier mentir. » Ogrins li dist : « Et quel confort Puet on doner a home mort ? Assez est mort qui longuement 1390 Gist en pechié, s’il ne repent. Doner ne puet nus penitance A pecheor sanz repentance. » L’ermite Ogrins mot les sarmone, Du repentir consel lor done. 1395 Li hermites sovent lor dit Les profecies de l’escrit, Et mot lor amentoit sovent   L’ermite lor delungement. A Tristran dist par grant desroi : 1400 « Que feras tu ? Conselle toi. [44] — Sire, j’am Yseut a mervelle, Si que n’en dor ne ne somelle. De tot an est li consel pris : Mex aim o li estre mendis 1405 Et vivre d’erbes et de glan Q’avoir le reigne au roi Otran. De lié laisier parler ne ruis, Certes, quar faire ne le puis. »   Iseut au pié l’ermite plore, 1410 Mainte color mue en poi d’ore, Mot li crie merci sovent : « Sire, por Deu omnipotent, Il ne m’aime pas, ne je lui, Fors par un herbé dont je bui 1415 Et il en but : ce fu pechiez. Por ce nos a li rois chaciez. » Li hermites tost li respont : « Diva ! cil Dex qui fist le mont, Il vos donst voire repentance ! » 1420 Et saciez de voir, sanz dotance, Cele nuit jurent chiés l’ermite ; Por eus esforça mot sa vite. Au matinet s’en part Tristrans. Au bois se tient, let les plains chans. 1425 Li pain lor faut, ce est grant deus. De cers, de biches, de chevreus Ocist asez par le boscage. txm.bfm-corpus.org 30 Base de français médiéval — Béroul : Tristan La ou prenent lor herbergage, Font lor cuisine et lor beau feu, 1430 Sol une nuit sont en un leu.   Seignors, oiez con por Tristran Out fait li rois crïer son ban ! [45] En Cornoualle n’a parroise Ou la novelle n’en angoise 1435 Que, qui porroit Tristran trover, Qu’il en feïst le cri lever.   Qui veut oïr une aventure, Con grant chose a an noreture, Si m’escoute un sol petitet ! 1440 Parler m’orez d’un buen brachet : Qens ne rois n’out tel berseret, Il ert isneaus et toz tens prez, Quar il ert bauz, isneaus, non lenz, Et si avoit a non Husdanz. 1445 Lïez estoit en un landon. Li chiens gardoit par le donjon ; Qar mis estoit a grant freor, Qant il ne voiet son seignor. Ne vout mengier ne pain ne past 1450 Ne nule rien q’en li donast ; Grignout et si feroit du pié, Des uiz lermant. Dex ! qel pitié Faisoit a mainte gent li chiens ! Chascun disoit : « S’il estoit miens, 1455 Gel metroie du landon fors ; Quar, s’il enrage, ce ert deus. Ahi ! Husdent, ja tex brachetz N’ert mais trové, qui tant set prez Ne tel duel face por seignor ; 1460 Beste ne fu de tel amor. Salemon dit que droituriers Que ses amis, c’ert ses levriers. A vos le poon nos prover : Vos ne volez de rien goster, [46] 1465 Pus que vostre sire fu pris. Rois, quar soit fors du landon mis ! » Li rois a dit, a son corage (Por son seignor croit qu’il enrage) : « Certes, mot a li chiens grant sens : 1470 Je ne quit mais q’en nostre tens, En la terre de Cornoualle, Ait chevalier qui Tristran valle. »   De Cornoualle baron troi En ont araisoné li roi : txm.bfm-corpus.org 31 Base de français médiéval 1475 1480 1485 1490 1495 [47] 1500 1505 1510 1515 1520 txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan « Sire, quar deslïez Husdant ! Si verron bien certainement Se il meine ceste dolor Por la pitié de son seignor ; Quar ja si tost n’ert deslïez Qu’il ne morde, s’est enragiez, Ou autre rien ou beste ou gent : S’avra la langue overte au vent. » Li rois apele un escuier Por Husdan faire deslïer. Sor bans, sor seles puient haut, Quar li chien criement de prin saut. Tuit disoient : « Husdent enrage. » De tot ce n’avoit il corage. Tantost com il fu deslïez, Par mié les renz cort, esvelliez, Que onques n’i demora plus. De la sale s’en ist par l’us, Vint a l’ostel ou il soloit Trover Tristran. Li rois le voit, Et li autre qui aprés vont. Li chiens escrie, sovent gront, Mot par demeine grant dolor. Encontré a de son seignor : Onques Tristan ne fist un pas Qant il fu pris, qu’il dut estre ars, Que li brachez nen aut aprés ; Et dit chascun de venir mes. Husdant an la chanbrë est mis O Tristran fu traït et pris ; Si part, fait saut et voiz clarele, Criant s’en vet vers la chapele ; Li pueple vait aprés le chien. Ainz, puis qu’il fu fors du lïen, Ne fina, si fu au montier Fondé en haut sor le rochier. Husdent li bauz, qui ne voit lenz, Par l’us en la chapele entre enz, Saut sor l’autel, ne vit son mestre. Fors s’en issi par la fenestre. Aval la roche est avalez, En la janbe s’est esgenez, A terre met le nes, si crie. A la silve du bois florie, Ou Tristran fist l’enbuschement, Un petit s’arestut Husdent ; Fors s’en issi, par le bois vet. Nus ne le voit qui pitié n’ait. Au roi diënt li chevalier : 32 Base de français médiéval — Béroul : Tristan « Laison a seurre cest trallier : 1525 En tel leu nos porroit mener Dont griés seroit le retorner. »   Laisent le chien, tornent arire. Husdent aqeut une chariere, De la rote mot s’esbaudist. 1530 Du cri au chien li bois tentist. [48] Tristran estoit el bois aval O la reïne et Governal. La noise oient, Tristran l’entent : « Par foi, fait il, je oi Husdent. » 1535 Trop se criement, sont esfroï. Tristran saut sus, son arc tendi. En un’espoise aval s’en traient : Crime ont du roi, si s’en esmaient, Dïent qu’il vient o le brachet. 1540 Ne demora c’un petitet Li brachet, qui la rote sut. Quant son seignor vit et connut, Le chief hoque, la queue crole. Qui voit con de joie se molle 1545 Dire puet qu’ainz ne vit tel joie. A Yseut a la crine bloie Acort, et pus a Governal ; Toz fait joie, nis au cheval. Du chien out Tristran grant pitié : 1550 « Ha ! Dex, fait il, par quel pechié Nos a cist berseret seü ? Chien qi en bois ne se tient mu N’a mestier a home bani. El bois somes, du roi haï ; 1555 Par plain, par bois, par tote terre, Dame, nos fait li rois Marc querre ! S’il nos trovout ne pooit prendre, Il nos feroit ardoir ou pendre, Nos n’avon nul mestier de chien. 1560 Une chose sachiez vos bien, Se Husdens avé nos remaint, Poor nos fera et duel maint. Asez est mex qu’il soit ocis [49] Que nos soion par son cri pris. 1565 Et poise m’en, por sa franchise, Que il la mort a ici quise. Grant nature li faisoit fere ; Mais conment m’en pus je retraire ? Certes, ce poise moi mot fort 1570 Que je li doie doner mort. Or m’en aidiez a consellier : De nos garder avon mestier. » txm.bfm-corpus.org 33 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Yseut li dist : « Sire, merci ! Li chiens sa beste prent au cri, 1575 Que par nature, que par us. J’oï ja dire qu’un seüs Avoit un forestier galois, Puis que Artus en fu fait rois, Que il avoit si afaitié : 1580 Qant il avoit son cerf sagnié De la seete berserece, Puis ne fuïst par cele trace Que li chiens ne suïst le saut ; Por crïer n’estonast le gaut 1585 Ne ja n’atainsist tant sa beste Ja criast ne feïst moleste. Amis Tristran, grant joie fust, Por metre peine qui peüst Faire Hudent le cri laisier, 1590 Sa beste ataindrë et chacier. » Tristran s’estut et escouta. Pitié l’en prist ; un poi pensa, Puis dist itant : « Si je pooie Husdent par paine metre en voie 1595 Que il laisast cri por silence, Mot l’avroie a grant reverence. [50] Et a ce metrai je ma paine Ainz que ja past ceste semaine. Pesera moi se je l’oci, 1600 Et je criem mot du chien le cri ; Quar je porroie en tel leu estre, O vos ou Governal mon mestre, Se il criout, feroit nos prendre. Or vuel peine metre et entendre 1605 A beste prendre sanz crïer. »   Or voit Tristran en bois berser. Afaitiez fu, a un dain trait : Li sans en chiet, li brachet brait, Li dains navrez s’en fuit le saut. 1610 Husdent li bauz en crie en haut, Li bois du cri au chien resone. Tristran le fiert, grant cop li done. Li chien a son seignor s’areste, Lait le crïer, gerpist la beste ; 1615 Haut l’esgarde, ne set qu’il face, N’ose crïer, gerpist la trace. Tristan le chien desoz lui bote, O l’estortore bat la rote ; Et Husdent en revot crïer. 1620 Tristran l’aqeut a doutriner Ainz que li premier mois pasast, txm.bfm-corpus.org 34 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Fu si le chien dontez u gast Que sanz crïer suiet sa trace. Sor noif, sor herbe ne sor glace 1625 N’ira sa beste ja laschant, Tant n’iert isnele et remuant.   Or lor a grant mestier li chiens, A mervelles lor fait grans biens. S’il prent el bois chevrel ne dains, [51] 1630 Bien l’enbusche, cuevre de rains ; Et s’il enmi lande l’ataint, Com il s’avient en i prent maint, De l’erbe gete asez desor, Arire torne a son seignor, 1635 La le maine ou sa beste a prise. Mot sont li chien de grant servise !   Seignors, mot fu el bois Tristrans, Mot i out paines et ahans. En un leu n’ose remanoir ; 1640 Dont lieve au main ne gist au soir. Bien set que li rois le fait querre Et que li bans est en sa terre Por lui prendre, quil troveroit. Mot sont el bois del pain destroit, 1645 De char vivent, el ne mengüent. Que püent il, se color müent ? Lor dras ronpent, rains les decirent. Longuement par Morrois fuïrent Chascun d’eus soffre paine elgal, 1650 Qar l’un por l’autre ne sent mal : Grant poor a Yseut la gente Tristran por lié ne se repente ; Et a Tristran repoise fort Que Yseut a por lui descort, 1655 Qu’el repente de la folie.   Un de ces trois que Dex maudie Par qui il furent descovert, Oiez conment par un jor sert ! Riches hom ert et de grand bruit, 1660 Li chiens amoit por son deduit. [52] De Cornoualle du païs De Morrois erent si eschis Qu’il n’i osout un sol entrer. Bien lor faisoit a redouter ; 1665 Qar, se Tristran les peüst prendre, Il les feïst as arbres pendre : Bien devoient donques laisier.   Un jor estoit o son destrier txm.bfm-corpus.org 35 Base de français médiéval 1670 1675 1680 1685 1690 [53] 1695 1700 1705 1710 1715 txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan Governal sol a un doitil Qui decendoit d’un fontenil. Au cheval out osté la sele : De l’erbete paisoit novele. Tristran gesoit en sa fullie, Estroitement ot enbrachie La roïne, por qu’il estoit Mis en tel paine, en tel destroit ; Endormi erent amedoi. Governal ert en un esquoi, Oï les chiens par aventure : Le cerf chacent grant aleüre. C’erent li chien a un des trois Por qui consel estoit li rois Meslez ensenble la roïne. Li chien chacent, li cerf ravine. Governal vint une charire En une lande ; luin arire Vit cel venir que il bien set Que ses sires onques plus het, Tot solement sanz escuier. Des esperons a son destrier A tant doné que il escache, Sovent el col fiert o sa mache Li chevaus ceste sor un marbre. Governal s’acoste a un arbre, Enbuschiez est, celui atent Qui trop vient tost et fuira lent. Nus retorner ne puet fortune : Ne se gaitoit de la rancune Que il avoit a Tristran fait. Cil qui desoz l’arbre s’estait Vit le venir, hardi l’atent ; Dit mex veut estre mis au vent Que il de lui n’ait la venjance ; Qar par lui et par sa faisance Durent il estre tuit destruit. Li chien li cerf sivent, qui fuit ; Li vasaus aprés les chiens vait. Governal saut de sen agait ; Du mal que cil ot fait li menbre, A s’espee tot le desmenbre, Li chief en prent, atot s’en vet. Li veneor, qui l’ont parfait, Sivoient le cerf esmeü. De lor seignor virent le bu, Sanz la teste, soz l’arbre jus. Qui plus tost cort, cil s’en fuit plus : Bien quident ce ait fait Tristran 36 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Dont li rois fist faire le ban.   Par Cornoualle ont antendu 1720 L’un des trois a le chief perdu Qui meslot Tristran o le roi. Poor en ont tuit et esfroi, Puis ont en pes le bois laisié ; N’ont pus el bois sovent chacié. 1725 Des cel’ore qu’u bois entroit, Fust por chacier, chascuns dotoit [54] Que Tristran li preuz l’encontrast. Crient fu u plain et plus u gast.   Tristran se jut an la fullie. 1730 Chau tens faisoit, si fu jonchie. Endormiz est, ne savoit mie Que cil eüst perdu la vie Par qui il dut mort recevoir : Liez ert, quant en savra le voir. 1735 Governal a la loge vient, La teste au mort a sa main tient ; A la forche de la ramee L’a cil par les cheveus nouee. Tristran s’esvelle, vit la teste, 1740 Saut esfreez, sor piez s’areste. A haute voiz crie son mestre : « Ne vos movez, seürs puez estre : A ceste espee l’ai ocis. Saciez, cist ert vostre anemis. » 1745 Liez est Tristran de ce qu’il ot : Cil est ocis qu’il plus dotot.   Poor ont tuit par la contree. La forest est si esfreee Que nus n’i ose ester dedenz. 1750 Or ont le bois a lor talent. La ou il erent en cel gaut, Trova Tristan l’arc Qui ne faut. En tel maniere el bois le fist Riens ne trove qu’il n’oceïst. 1755 Se par le bois vait cerf ne dains, Se il atouchë a ces rains Ou cil arc est mis et tenduz, Se haut hurte, haut est feruz, Et se il hurte a l’arc an bas, [55] 1760 Bas est feruz eneslepas. Tristran, par droit et par raison, Qant ot fait l’arc, li mist cel non. Mot a buen non l’arc, qui ne faut Riens qu’il ne fire, bas ne haut ; 1765 Et mot lor out pus grant mestier, De maint grant cerf lor fist mengier. txm.bfm-corpus.org 37 Base de français médiéval 1770 — Béroul : Tristan Mestier ert que la sauvagine Lor aïdast en la gaudine ; Qar falliz lor estoit li pains, N’il n’osoient issir as plains. Longuement fu en tel dechaz. Mervelles fu de buen porchaz : De venoison ont grant plenté.   Seignor, ce fu un jor d’esté, 1775 En icel tens que l’en aoste, Un poi aprés la Pentecoste. Par un matin, a la rousee, Li oisel chantent l’ainzjornee. Tristran de la loge ou il gist, 1780 Çaint s’espee, tot sol s’en ist, L’arc Qui ne faut vet regarder ; Parmi le bois ala berser. Ainz qu’il venist, fu en tel paine, Fu ainz maiss gent tant eüst paine ? 1785 Mais l’un por l’autre ne le sent, Bien orent lor aaisement. Ainz, puis le tens que el bois furent, Deus genz itant de tel ne burent ; Ne, si conme l’estoire dit, 1790 La ou Berox le vit escrit, Nule gent tant ne s’entramerent [56] Ne si griment nu conpererent.   La roïne contre lui live. Li chauz fu granz, qui mot les grive. 1795 Tristran l’acole et il dit ce : « . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 — Amis, ou avez vos esté ? — Aprés un cerf, qui m’a lassé. Tant l’ai chacié que tot m’en duel. 1800 Somel m’est pris, dormir me vel. » La loge fu de vers rains faite, De leus en leus ot fuelle atraite, Et par terre fu bien jonchie. Yseut fu premire couchie ; 1805 Tristran se couche et trait s’espee, Entre les deux chars l’a posee. Sa chemise out Yseut vestue (Se ele fust icel jor nue, Mervelles lor fust meschoiet), 1810 Et Tristran ses braies ravoit. La roïne avoit en son doi. L’anel d’or des noces le roi, 2. Absence de la première phrase de dialogue, texte lacunaire. txm.bfm-corpus.org 38 Base de français médiéval — Béroul : Tristan O esmeraudes planteïz. Mervelles fu li doiz gresliz, 1815 A poi que li aneaus n’en chiet. Oez com il se sont couchiez : Desoz le col Tristran a mis Son braz, et l’autre, ce m’est vis, Li out par dedesus geté ; 1820 Estroitement l’ot acolé, Et il la rot de ses braz çainte. Lor amistié ne fu pas fainte. Les bouches furent pres asises, EtErneporquant si ot devises [57] 1825 Que n’asenbloient pas ensenble. Vent ne cort ne fuelle ne trenble. Uns rais decent desor la face Yseut, que plus reluist que glace. Eisi s’endorment li amant, 1830 Ne pensent mal ne tant ne quant. N’avoit qu’eus deus en cel païs ; Quar Governal, ce m’est avis, S’en ert alez o le destrier Aval el bois au forestier. 1835   Oez, seignors, quel aventure : Tant lor dut estre pesme et dure ! Par le bois vint uns forestiers, Qui avoit trové lor fulliers Ou il erent el bois geü. 1840 Tant a par le fuellier seü Qu’il fu venuz a la ramee Ou Tristran out fait s’aünee. Vit les dormanz, bien les connut : Li sans li fuit, esmarriz fut. 1845 Mot s’en vest tost, quar se doutoit ; Bien sot, se Tristran s’esvellot, Que ja n’i metroit autre ostage, Fors la teste lairoit en gage. Se il s’en fuit, n’est pas mervelle ; 1850 Du bois s’en ist, cort a mervelle.   Tristran avoc s’amie dort : Par poi qu’il ne reçurent mort. D’iluec endroit ou il dormoient, Qui, deus bones liues estoient 1855 La ou li rois tenet sa cort. Li forestier grant erre acort ; Qar bien avoit oï le ban [58] Que l’en avoit fait de Tristran : Cil qui au roi en diroit voir 1860 Assez aroit de son avoir. Li forestier bien le savoit, txm.bfm-corpus.org 39 Base de français médiéval 1865 1870 1875 1880 1885 1890 [59] 1895 1900 1905 1910 txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan Por c’acort il a tel esploit. Et li rois Marc en son palais O ses barons tenoit ses plaiz ; Des barons ert plaine la sale. Li forestier du mont avale Et s’en est entré, mot vait tost. Pensez que onc arester s’ost De si que il vint as degrez De la sale ? Sus est montez. Li rois le voit venir grant erre, Son forestier apele en erre : « Soiz noveles, qui si tost viens ? Ome senbles que core a chiens, Qui chast sa beste por ataindre. Veus tu a cort de nullui plaindre ? Tu senbles hom qui ait besoin, Qui ça me soit tramis de loin. Se tu veus rien, di ton mesage. A toi nus hon veé son gage Ou chacié vos de ma forest ? — Escoute moi, roi, se toi plest, Et si m’entent un sol petit. Par cest païs a l’on banit, Qui ton nevo porroit trover, Q’ançois s’osast laisier crever Qu’il nu preïst, ou venist dire. Ge l’ai trové, s’en criem vostre ire : Se nel t’ensein, dorras moi mort. Je te merrai la ou il dort, Et la roïne ensenble o lui. Gel vi, poi a, ensenble o lui, Fermement erent endormi. Grant poor oi, quant la les vi. » Li rois l’entent, boufe et sospire, Esfreez est, forment s’aïre ; Au forestier dist et conselle Priveement, dedenz l’orelle : « En qel endroit sont il ? Di moi ! — En une loge de Morroi Dorment estroitet enbrachiez. Vien tost, ja seron d’eus vengiez. Rois, s’or n’en prens aspre venjance, N’as droit en terre, sanz doutance. » Li rois li dist : « Is t’en la fors. Si chier conme tu as ton cors, Ne dire a nul ce que tu sez, Tant soit estrange ne privez. A la Croiz Roge, au chemin fors, La on enfuet sovent les cors, 40 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Ne te movoir, iluec m’atent. Tant te dorrai or et argent Con tu voudras, je l’afi toi. » Li forestier se part du roi, 1915 A la Croiz vient, iluec s’asiet. Male gote les eulz li criet, Qui tant voloit Tristran destruire ! Mex li venist son cors conduire, Qar puis morut a si grant honte 1920 Con vos orrez avant el conte.   Li rois est en la chanbre entrez, A soi manda toz ses privez, Pus lor voia et defendi [60] Qu’il ne soient ja si hardi 1925 Qu’il allent aprés lui plain pas. Chascun li dist : « Rois, est ce gas, A aler vos sous nule part ? Ainz ne fu rois qui n’ait regart. Qel novele avez vos oïe ? 1930 Ne vos movez por dit d’espie. »   Li rois respont : « Ne sai novele, Mais mandé m’a une pucele Que j’alle tost a lié parler. Bien me mande n’i moigne per. 1935 G’irai tot seus sor mon destrier, Ne merrai per ne escuier, A ceste foiz irai sanz vos. » Il responent : « Ce poise nos. Chatons conmanda a son filz 1940 A eschiver les leus soutiz. » Il respont : « Je le sai assez. Laisiez moi faire auques mes sez. » Li rois a fait sa sele metre, S’espee çaint, sovent regrete 1945 A lui tot sol la cuvertise Que Tristran fist, quant il l’ot prisse Yseult la bele o le cler vis, O qui s’en est alé fuitis. S’il les trove, mot les menace, 1950 Ne laira pas ne lor mesface. Mot est li rois acoragiez De destruire : c’es granz pechiez. De la cité s’en est issuz Et dist mex veut estre penduz 1955 Qu’il ne prenge de ceus venjance Que li ont fait tel avilance. [61] A la croiz vint, ou cil l’atent, Dist li qu’il aut isnelement Et qu’il le meint la droite voie. txm.bfm-corpus.org 41 Base de français médiéval — Béroul : Tristan 1960 El bois entrent, qui mot onbroie. Devant le roi se met l’espie ; Li rois le sieut, qui bien s’i fie En l’espee que il a çainte, Dont a doné colee mainte. 1965 Si fait il trop que sorquidez ; Quar, se Tristran fust esvelliez, Li niés o l’oncle se meslast, Li uns morust, ainz ne finast. Au forestier dist li roi Mars 1970 Qu’il li dorroit d’argent vint mars, Sel menoit tost a son forfet. Li forestier (qui vergonde ait !) Dist que pres sont de lor besoigne. Du buen cheval, né de Gascoingne, 1975 Fait l’espie le roi decendre, De l’autre part cort l’estrier prendre ; A la branche d’un vert pomier La reigne lïent du destrier. Poi vont avant, quant ont veü 1980 La loge por qu’il sont meü.   Li rois deslace son mantel, Dont a fin or sont li tasel : Desfublez fu, mot out gent cors. Du fuerre trait l’espee fors, 1985 Iriez s’atorne, sovent dit Qu’or veut morir s’il nes ocit. L’espee nue an la loge entre. Le forestier entre soventre, Grant erre aprés le roi acort : [62] 1990 Li ros li çoine qu’il retort. Li rois en haut le cop leva, Iré le fait, si se tresva. Ja decendist li cop sor eus, Ses oceïst, ce fust grant deus. 1995 Quant vit qu’ele avoit sa chemise Et q’entre eus deus avoit devise, La bouche o l’autre n’ert jostee, Et qant il vit la nue espee Qui entre eus deus les desevrot, 2000 Vit les braies que Tristran out : « Dex ! dist li rois, ce que puet estre ? Or ai veü tant de lor estre, Dex ! je ne sai que doie faire, Ou de l’ocire ou du retraire. 2005 Ci sont el bois, bien a lonc tens. Bien puis croire, se je ai sens, Se il s’amasent folement, Ja n’i eüsent vestement, txm.bfm-corpus.org 42 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Entrë eus deus n’eüst espee, 2010 Autrement fust cest’asenblee. Corage avoie d’eus ocire : Nes tocherai, retrairai m’ire. De fole amor corage n’ont. N’en ferrai nul. Endormi sont : 2015 Se par moi eirent atouchié, Trop par feroie grant pechié ; Et se g’esvel cest endormi Et il m’ocit ou j’oci lui, Ce sera laide reparlance. 2020 Je lor ferai tel demostrance Que, ançois qu’il s’esvelleront, Certainement savoir porront [63] Qu’il furent endormi trové Et q’en a eü d’eus pité, 2025 Que je nes vuel noient ocire, Ne moi ne gent de mon enpire. Ge voi el doi a la reïne L’anel o pierre esmeraudine ; Or li donnai (mot par est buens), 2030 Et g’en rai un qui refu suens : Osterai li le mien du doi. Uns ganz de vair rai je o moi, Qu’el aporta o soi d’Irlande. Le rai qui sor la face brande 2035 (Qui, li fait chaut) en vuel covrir ; Et, qant vendra au departir, Prendrai l’espee d’entre eus deus Dont le Morhot fu del chief blos. »   Li rois a deslïé les ganz, 2040 Vit ensenble les deus dormanz, Le rai qui sor Yseut decent Covre des ganz mot bonement. L’anel du doi defors parut : Souef le traist, qu’il ne se mut. 2045 Primes i entra il enviz ; Or avoit tant les doiz gresliz Qu’il s’en issi sanz force fere ; Mot l’en sot bien li rois fors traire, L’espee qui entre eus deus est 2050 Souef oste, la soue i met. De la loge s’en issi fors, Vint au destrier, saut sor le dos ; Au forestier dist qu’il s’en fuie, Son cors trestort, si s’en conduie. 2055 Vet s’en li rois, dormant les let. [64] A cele foiz n’i a plus fait. Reperiez est a sa cité. txm.bfm-corpus.org 43 Base de français médiéval — Béroul : Tristan De plusorz parz out demandé Ou a esté et ou tant fut. 2060 Li rois lor ment, pas n’i connut Ou il ala ne que il quist Ne de faisance que il fist.   Mais or oiez des endormiz, Que li rois out el bois gerpiz. 2065 Avis estoit a la roïne Qu’ele ert en une grant gaudine, Dedenz un riche pavellon : A li venoient dui lion, Qui la voloient devorer ; 2070 El lor voloit merci crïer, Mais li lion, destroiz de fain, Chascun la prenoit par la main. De l’esfroi que Iseut en a Geta un cri, si s’esvella. 2075 Li gant paré du blanc hermine Li sont choiet sor la poitrine. Tristran, du cri qu’il ot, s’esvelle, Tote la face avoit vermelle. Esfreez s’est, saut sus ses piez, 2080 L’espee prent com home iriez, Regarde el brant, l’osche ne voit : Vit le pont d’or qui sus estoit, Connut que c’est l’espee au roi. La roïne vit en son doi 2085 L’anel que li avoit doné, Le suen revit du dei osté. Ele cria : « Sire, merci ! Li rois nos a trovez ici. » [65] Il li respont : « Dame, c’est voirs. 2090 Or nos covient gerpir Morrois, Qar mot li par somes mesfait. M’espee a, la soue me lait : Bien nos peüst avoir ocis. — Sire, voire, ce m’est avis. 2095 — Bele, or n’i a fors du fuïr. Il nos laissa por nos traïr : Seus ert, si est alé por gent, Prendre nos quide, voirement. Dame, fuion nos en vers Gales. 2100 Li sanc me fuit. » Tot devient pales.   Atant, es vos lor escuier, Qui s’en venoit o le destrier. Vit son seignor pales estoit, Demande li que il avoit. 2105 « Par foi, mestre, Marc li gentis Nos a trovez ci endormis ; txm.bfm-corpus.org 44 Base de français médiéval 2110 2115 2120 [66] 2125 2130 — Béroul : Tristan S’espee lait, la moie en porte : Felonie criem qu’il anorte. Du doi Yseut l’anel, le buen, En a porté, si lait le suen : Par cest change poon parçoivre, Mestre, que il nos veut deçoivre ; Quar il ert seus, si nos trova, Poor li prist, si s’en torna. Por gent s’en est alé arrire, Dont il a trop et baude et fire. Ses amerra, destruire veut Et moi et la roïne Yseut ; Voiant le pueple, nos veut prendre, Faire ardoir et venter la cendre. Fuion, n’avon que demorer. » N’avet en eus que demorer. S’il ont poor, n’en püent mais : Li rois sevent fel et engrés. Torné s’en sont bone aleüre, Li roi doutent, por l’aventure. Morrois trespasent, si s’en vont, Grans jornees par poor font, Droit vers Gales s’en sont alé. Mot les avra amors pené : Trois anz plainiers sofrirent peine, Lor char pali et devint vaine.   Seignors, du vin de qoi il burent Avez oï, por qoi il furent 2135 En si grant paine lonctens mis ; Mais ne savez, ce m’est avis, A conbien fu determinez Li lovendrins, li vin herbez : La mere Yseut, qui le bolli, 2140 A trois anz d’amistié le fist. Por Marc le fist et por sa fille : Autre en pruva, qui s’en essille. Tant con durerent li troi an, Out li vins si soupris Tristran 2145 Et la roïne ensenble o lui Que chascun disoit : « Las n’en sui. »   L’endemain de la saint Jehan Aconpli furent li troi an Que cil vin fu determinez. 2150 Tristran fu de son lit levez, Iseut remest en sa fullie. Tristran, sachiez, une doitie A un cerf traist, qu’il out visé, [67] Par les flans l’a outrebersé. txm.bfm-corpus.org 45 Base de français médiéval — Béroul : Tristan 2155 Fuit s’en li cerf, Tristran l’aqeut ; Que soirs fu plains tant le porseut. La ou il cort aprés la beste, L’ore revient, et il s’areste, Qu’il ot beü le lovendrant. 2160 A lui seus senpres se repent : « Ha ! Dex, fait il, tant ai traval ! Trois anz a hui, que riens n’i fal, Onques ne me falli pus paine Ne a foirié n’en sorsemaine. 2165 Oublïé ai chevalerie, A seure cort et baronie. Ge sui essilié du païs, Tot m’est failli et vair et gris, Ne sui a cort a chevaliers. 2170 Dex ! tant m’amast mes oncles chiers, Se tant ne fuse a lui mesfez ! Ha ! Dex, tant foiblement me vet ! Or deüse estre a cort a roi, Et cent danzeaus avoques moi, 2175 Qui servisent por armes prendre Et a moi lor servise rendre. Aler deüse en autre terre Soudoier et soudees querre. Et poise moi de la roïne, 2180 Qui je doins loge por cortine. En bois est, et si peüst estre En beles chanbres, o son estre, Portendues de dras de soie. Por moi a prise male voie. 2185 A Deu, qui est sire du mont, Cri ge merci, que il me donst [68] Itel corage que je lais A mon oncle sa feme en pais. A Deu vo je que jel feroie 2190 Mot volentiers, se je pooie, Si que Yseut fust acordee O le roi Marc, qui’st esposee, Las ! si qel virent maint riche ome, Au fuer q’en dit la loi de Rome. » 2195   Tristran s’apuie sor son arc, Sovent regrete le roi Marc, Son oncle, qui a fait tel tort, Sa feme mise a tel descort. Tristran au soir se dementot : 2200 Oiez d’Iseut con li estoit ! Sovent disoit : « Lasse, dolente, Porquoi eüstes vos jovente ? En bois estes com autre serve, txm.bfm-corpus.org 46 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Petit trovez qui ci vus serve. 2205 Je suis roïne, mais le non En ai perdu par la poison Que nos beümes en la mer. Ce fist Brengain, qu’i dut garder : Lasse ! si male garde en fist ! 2210 El n’en pout mais, quar trop mesprist. Les damoiseles des anors, Les filles as frans vavasors Deüse ensenble o moi tenir En mes chanbres, por moi servir, 2215 Et les deüse marïer Et as seignors por bien doner. Amis Tristran, en grant error Nos mist qui le boivre d’amor Nos aporta ensenble a boivre, [69] 2220 Mex ne nos pout il pas deçoivre. »   Tristran li dist : « Roïne gente, En mal usons nostre jovente. Bele amie, se je peüse, Par consel que je en eüse, 2225 Faire au roi Marc acordement, Qu’il pardonnast son mautalent Et qu’il preïst nostre escondit, C’onques nul jor, n’en fait n’en dit, N’oi o vos point de drüerie 2230 Qui li tornast a vilanie, N’a chevalier en son roiaume, Ne de Lidan tresque en Dureaume, S’il voloit dire que amor Eüse o vos por deshonor, 2235 Ne m’en trovast en chanp, armé. Et s’il avoit en volenté, Quant vos avrïez deresnie, Qu’il me soufrist de sa mesnie, Gel serviroie a grant honor, 2240 Conme mon oncle et mon seignor : N’avroit soudoier en sa terre Qui miex le servist de sa gerre. Et s’il estoit a son plesir Vos a prendre et moi de gerpir, 2245 Qu’il n’eüst soin de mon servise, Ge m’en iroie au roi de Frise, Ou m’en passeroie en Bretaigne O Governal, sanz plus conpaigne. Roïne franche, ou que je soie, 2250 Vostre toz jorz me clameroie. Ne vosise la departie, S’estre peüst la conpaignie, txm.bfm-corpus.org 47 Base de français médiéval — Béroul : Tristan [70] Ne fust, bele, la grant soufraite Que vos soufrez et avez faite 2255 Tanz dis, por moi, par desertine. Por moi perdez non de roïne. Estre peüses a anor En tes chanbres, o ton seignor, Ne fust, dame, li vins herbez 2260 Qui an la mer nos fu donnez. Yseut, franche, gente façon, Conselle moi que nos feron. — Sire, Jesu soit gracïez, Qant degerpir volez pechiez ! 2265 Amis, menbre vos de l’ermite Ogrin, qui de la loi escrite Nos preecha et tant nos dist, Quant tornastes a son abit, Qui est el chief de cel boschage ! 2270 Beaus amis douz, se ja corage Vos ert venuz de repentir, Or ne peüst mex avenir. Sire, corons a lui ariere. De ce sui tote fianciere : 2275 Consel nos doroit honorable, Par qoi a joie pardurable Porron ancore bien venir. » Tristran l’entent, fist un sospir Et dist : « Roïne de parage, 2280 Tornon arire a l’ermitage Encor enuit ou le matin. O le consel de maistre Ogrin, Mandon au roi nostre talent Par briés sanz autre mandement. 2285 — Amis Tristran, mot dites bien. [71] Au riche roi celestïen Puison andui crïer merci, Qu’il ait de nos, Tristran, ami ! »   Arrire tornent el boschage, 2290 Tant ont erré qu’a l’ermitage Vindrent ensenble li amant. L’ermite Ogrin trovent lisant. Qant il les vit, bel les apele (Assis se sont en la chapele) : 2295 « Gent dechacie, a con grant paine Amors par force vos demeine ! Conbien durra vostre folie ? Trop avez mené ceste vie. Et, queles, quar vos repentez ! » 2300 Tristran li dist : « Or escoutez. Si longuement l’avon menee, txm.bfm-corpus.org 48 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Itel fu nostre destinee. Trois anz a bien, si que n’i falle, Onques ne nos falli travalle. 2305 S’or poïons consel trover De la roïne racorder, Je ne querrai ja plus nul jor Estre o le roi Marc a seignor ; Ainz m’en irai ançois un mois 2310 En Bretaigne ou en Loenois. Et se mes oncles veut soufrir Moi a sa cort por lui servir, Gel servirai si con je doi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2315 Sire, mon oncle est riche roi. Le mellor consel nos donnez, Por Deu, sire, de ce qu’oez, Et nos feron vos volentez. » [72]   Seignors, oiez de la roïne : 2320 As piez l’ermite chiet encline, De lui proier point ne se faint Qu’il les acort au roi, si plaint : « Qar ja corage de folie Nen avrai je jor de ma vie. 2325 Ge ne di pas, a vostre entente, Que de Tristran jor me repente, Que je ne l’aim de bone amor Et com amis, sanz desanor : De la comune de mon cors 2330 Et je du suen somes tuit fors. » L’ermites l’ot parler, si plore, De ce qu’il ot Deu en aoure : « Ha ! Dex, beaus rois omnipotent, Graces, par mon buen cuer, vos rent, 2335 Qui vivre tant m’avez laisié Que ces deus genz de lor pechié A moi en vindrent consel prendre. Granz grez vos en puise je rendre ! Ge jur ma creance et ma loi, 2340 Buen consel averez de moi. Tristran, entent moi un petit (Ci es venuz a mon habit), Et vos, roïne, a ma parole Entendez, ne soiez pas fole. 2345 Qant home et feme font pechié, S’aus se sont pris et sont quitié Et s’aus vienent a penitance Et aient bone repentance, Dex lor pardone lor mesfait, 2350 Tant ne seroit orible et lait. txm.bfm-corpus.org 49 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Tristran, roïne, or escoutez [73] Un petitet, si m’entendez. Por honte oster et mal covrir Doit on un poi par bel mentir. 2355 Qant vos consel m’avez requis, Gel vos dorrai sanz terme mis. En parchemin prendrai un brief : Saluz avra el premier chief. A Lancïen le trametez, 2360 Le roi par bien salu mandez En bois estes o la roïne, Mais, s’il voloit de lui saisine Et pardonast son mautalent, Vos ferïez por lui itant 2365 Vos en irïez a sa cort ; N’i avroit fort, sage ne lort, S’il veut dire qu’en vilanie Eüsiez prise drüerie, Si vos face li rois Marc pendre, 2370 Se vos ne vos poez defendre.   Tristran, por ce t’os bien loer, Que ja n’i troveras ton per Qui gage doinst encontre toi. Icest consel te doin par foi. 2375 Ce ne puet il metre en descort : Qant il vos vout livrer a mort Et en feu ardoir, par le nain (Cortois le virent et vilain), Il ne voloit escouter plait. 2380 Qant Dex vos an ot merci fait Que d’iluec fustes eschapez, Si com il est oï assez, Que, se ne fust la Deu vigor, Destruit fusiez a deshonor [74] 2385 (Tel saut feïstes qu’il n’a home De Costentin entresqu’a Rome, Se il le voit, n’en ait hisdor), Iluec fuïstes par poor. Vos rescosistes la roïne, 2390 S’avez esté pus en gaudine. De sa terre vos l’amenastes, Par mariage li donastes. Tot ce fu fait, il le set bien ; Nocie fu a Lencïen. 2395 Mal vos estoit lié a fallir, O lié vosistes mex fuïr. S’il veut prendre vostre escondit Si qel verront grant et petit, Vos li offrez a sa cort faire. txm.bfm-corpus.org 50 Base de français médiéval — Béroul : Tristan 2400 Et se lui venoit a viaire, Qant vos serez de lui loiaus, Au loement de ses vasaus Preïst sa feme la cortoise. Et, se savez que lui n’en poise, 2405 O lui serez ses soudoiers, Servirez le mot volentiers. Et s’il ne veut vostre servise, Vos passerez la mer de Frise, Iroiz servir un autre roi. 2410 Tex ert li brief. — Et je l’otroi. Tant ait plus mis, beau sire Ogrin, Vostre merci, el parchemin, Que je ne m’os en lui fïer : De moi a fait un ban crïer. 2415 Mais je li prié, com a seignor Que je mot aim par bone amor, Un autre brief reface faire, [75] S’i face escrire tot son plaire ; A la Croiz Roge, anmi la lande, 2420 Pende le brief, si le conmande. Ne li os mander ou je sui, Ge criem qu’il ne me face ennui. Ge crerai bien, quant je l’avrai, Le brief : quant qu’il voudra ferai. 2425 Maistre, mon brief set seelé ! En la queue escriroiz : Vale ! A ceste foiz je n’i sai plus. »   Ogrins l’ermite lieve sus, Pene et enque et parchemin prist, 2430 Totes ces paroles i mist. Qant il out fait, prist un anel, La pierre passot el seel. Seelé est, Tristran le tent, Il le reçut mot bonement. 2435 « Quil portera ? » dist li hermites. « Gel porterai. — Tristran, nu dites. — Certes, sire, si ferai bien, Bien sai l’estre de Lancïen. Beau sire Ogrin, vostre merci, 2440 La roïne remaindra ci ; Et anevois, en tens oscur, Qant li rois dormira seür, Ge monterai sor mon destrier, O moi merrai mon escuier. 2445 Defors la vile a un pendant : La decendrai, s’irai avant. Mon cheval gardera mon mestre, Mellor ne vit ne lais ne prestre. » txm.bfm-corpus.org 51 Base de français médiéval — Béroul : Tristan   Anuit, aprés solel couchier, 2450 Qant li tens prist a espoisier, [76] Tristran s’en torne avoc son mestre. Bien sot tot le païs et l’estre. A Lancïen, a la cité, En sont venu, tant ont erré. 2455 Il decent jus, entre en la vile. Les gaites cornent a merville. Par le fossé dedenz avale Et vint errant tresque en la sale. Mot par est mis Tristran en fort. 2460 A la fenestre ou li rois dort En est venu, souef l’apele, N’avoit son de crïer harele. Li rois s’esvelle et dit aprés : « Qui es, qui a tel eure ves ? 2465 As tu besoin ? Di moi ton non. — Sire, Tristran m’apele l’on. Un brief aport, sil met ci jus El fenestrier de cest enclus. Longuement n’os a vos parler, 2470 Le brief vos lais, n’os plus ester. »   Tristran s’en torne, li rois saut, Par trois foiz l’apela en haut : « Por Deu, beaus niés, ton oncle atent ! » Li rois le brief a sa main prent. 2475 Tristran s’en vet, plus n’i remaint, De soi conduire ne se faint, Vient a son mestre, qui l’atent, El destrier saut legierement. Governal dist : « Fol, quar esploites ! 2480 Alon nos en les destoletes ! » Tant ont erré par le boschage Q’au jor vindrent a l’ermitage. Enz sont entré. Ogrins prioit [77] Au roi celestre quant qu’il pot 2485 Tristran defende d’enconbrier Et Governal, son escuier. Qant il le vit, es le vos lié : Son criator a gracïé. D’Iseut n’estuet pas demander 2490 S’ele out poor d’eus encontrer. Ainz, pus li soir qu’il en issirent Tresque l’ermite et el les virent, N’out les eulz essuiez de lermes : Mot par li senbla lons cis termes. 2495 Qant el le vit venir, lor prie Qu il i fist, ne fu pas parole. « Amis, di moi, se Dex t’anort, txm.bfm-corpus.org 52 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Fus tu donc pus a la roi cort ? » Tristran lor a tot reconté, 2500 Conment il fu a la cité Et conment o le roi parla, Coment li rois le rapela, Et du briés que il a gerpi, Et con li rois trova l’escrit. 2505 « Dex !, dist Ogrin, graces te rent. Tristran, sachiez, asez briment Orez noveles du ro Marc. » Tristran decent, met jus son arc.   Or sejornent a l’ermitage, 2510 Li rois esvelle son barnage. Primes manda le chapelain, Le brief li tent qu’a en la main. Cil fraint la cire et lut le brief. Li roi choisi el premier chief, 2515 A qui Tristran mandoit saluz. Les moz a tost toz conneüz, [78] Au roi a dit le mandement. Li rois l’escoute bonement ; A grant mervelle s’en esjot, 2520 Qar sa feme forment amot. Li rois esvelle ses barons, Les plus proisiez mande par nons ; Et qant il furent tuit venu, Li rois parla, il sont teü : 2525 « Seignors, un brief m’est ci tramis. Rois sui sor vos, vos mi marchis. Li briés soit liez et soit oïz ; Et qant liz sera li escriz, Conselliez m’en, jel vos requier. 2530 Vos m’en devez bien consellier. » Dinas s’en est levé premierz, Dist a ses pers : « Seignors, oiez ! S’or oiez que ne die bien, Ne m’en creez de nule rien. 2535 Qui mex savra dire, si die, Face le bien, lest la folie. Li brief nos est ici tramis Nos ne savon de qel païs : Soit liz li briés premierement ; 2540 Et pus, solonc le mandement, Qui buen consel savra doner, Sel nos doinst buen. Nel quier celer : Qui son droit seignor mesconselle Ne puet faire greignor mervelle. » 2545   Au roi dïent Corneualois : « Dinas a dit trop que cortois. txm.bfm-corpus.org 53 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Dan chapelain, lisiez le brief, Oiant nos toz, de chief en chief. » Levez s’en est li chapelains, [79] 2550 Le brief deslie o ses deus mains, En piez estut devant le roi : « Or escoutez, entendez moi. Tristran, li niés nostre seignor, Saluz mande prime et amor 2555 Au roi et a tot son barnage : “Rois, tu sez bien le mariage De la fille le roi d’Irlande. Par mer en fui jusqu’en Horlande, Par ma proece la conquis, 2560 Le grant serpent cresté ocis, Par qoi ele me fu donee. Amenai la en ta contree. Rois, tu la preïs a mollier, Si que virent ti chevalier. 2565 N’eüs gaires o li esté, Quant losengier en ton reigné Te firent acroire mençonge. Ge sui tot prest que gage en donge, Qui li voudroit blasme lever, 2570 Lié alegier contre mon per, Beau sire, a pié ou a cheval (Chascuns ait armes et cheval) Qu’onques amor nen out vers moi, Ne je vers lui, par nul desroi. 2575 Se je ne l’en puis alegier Et en ta cort moi deraisnier, Adonc me fai devant ton ost Jugier : n’i a qui je t’en ost. N’i a baron, por moi plaisier, 2580 Ne me face ardrë, ou jugier. Vos savez bien, beaus oncles, sire, Nos vosistes ardoir en ire ; [80] Mais a Deu en prist grant pitié, S’en aorames Damledé. 2585 La roïne par aventure En eschapa. Ce fu droiture, Se Dex me saut ; quar a grant tort Li volïez doner la mort. G’enn eschapai, si fis un saut 2590 Contreval un rochier mot haut. Lors fu donnee la roïne As malades en decepline. Ge l’en portai, si li toli, Puis ai toz tens o li fuï. 2595 Ne li devoie pas fallir, txm.bfm-corpus.org 54 Base de français médiéval — Béroul : Tristan 2600 Qant a tort dut por moi morir. Puis ai esté o lié par bos, Que je n’estoie pas tant os Que je m’osase an plain mostrer. [Vos feïstes un ban crïer] A prendre nos et a vos rendre. Feïsiez nos ardoir ou pendre : Por ce nos estovoit fuïr. Mais, s’or estoit vostre plesir 2605 A prendre Yseut o le cler vis, N’avroit baron en cest païs Plus vos servist que je feroie. Se l’uen vos met en autre voie, Que ne vuelliez le mien servise, 2610 Ge m’en irai au roi de Frise ; Jamais n’oras de moi parler, Passerai m’en outre la mer. De ce q’oiez, roi, pren consel. Ne puis mes soufrir tel trepel : 2615 Ou je m’acorderai a toi, [81] Ou g’en merrai la fille au roi En Irlandë, ou je la pris. Roïnë ert de son païs. ” » Li chapelains a au roi dit : 2620 « Sire, n’a plus en cest escrit. »   Li baron oient la demande, Qe por la fille au roi d’Irlande Offre Tristran vers eus batalle. N’i a baron de Cornoualle 2625 Ne die : « Rois, ta feme pren. Onques cil n’orent nul jor sen Qui ce distrent de la roïne, Dont la parole est ci oïe. Ne te sai pas consel doner 2630 Tristran remaigne deça mer. Au riche roi aut, en Gavoie, A qui li roiz escoz gerroie. Si se porra la contenir, Et tant porrez de lui oïr, 2635 Vos manderez por lui, qu’il vienge. Ne savon el qel voie tienge. Mandez par brief que la roïne Vos ameint ci a brief termine. » Li rois son chapelain apele : 2640 « Soit fait cist brief o main isnele. Oï avez que i metroiz. Hastez le brief : mot sui destroiz, Mot a ne vi Yseut la gente ; Trop a mal trait en sa jovente. txm.bfm-corpus.org 55 Base de français médiéval — Béroul : Tristan 2645 Et quant li brief ert seelez, A la Croiz Roge le pendez ; Ancor enuit i soit penduz. Escrivez i par moi saluz. » [82] Quant l’ot li chapelain escrit, 2650 A la Croiz Roge le pendit.   Tristran ne dormi pas la nuit. Ainz que venist la mie nuit, La Blanche Lande out traversee, La chartre porte seelee. 2655 Bien sout l’estre de Cornoalle. Vient a Ogrin, il la li balle. Li hermite la chartre a prise, Lut les letres, vit la franchise Du roi, qui pardonne a Yseut 2660 Son mautalent, et que il veut Repenre la tant bonement ; Vit le terme d’acordement. Ja parlera si com il doit Et con li hon qui a Deu croit : 2665 « Tristran, quel joie t’est creüe ! Ta parole est tost entendue, Que li rois la roïne prent. Loé li ont tote sa gent ; Mais ne li osent pas loer 2670 Toi retenir a soudeier, Mais va servir en autre terre Un roi a qui on face gerre, Un an ou deus. Se li rois veut, Revien a lui et a Yseut. 2675 D’ui en tierz jor, sanz nul deçoivre, Est li rois prest de lié reçoivre. Devant le Gué Aventuros Est li plez mis de vos et d’eus : La li rendroiz, iluec ert prise. 2680 Cist briés noient plus ne devise. — Dex ! dist Tristran, quel departie ! [83] Mot est dolenz qui pert s’amie. Faire l’estuet, por la soufrete Que vos avez por moi fort trete : 2685 N’avez mestier de plus soufrir. Qant ce vendra au departir, Ge vos dorrai ma drüerie, Vos moi la vostre, bele amie. Ja ne serai en cele terre 2690 Que ja me tienge pais ne gerre Que mesage ne vos envoi. Bele amie, remandez moi De tot en tot vostre plesir. » txm.bfm-corpus.org 56 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Iseut parla o grant sospir : 2695 « Tristran, entent un petitet : Husdent me lesse, ton brachet. Ainz berseret a veneor N’ert gardé e a tel honor Con cist sera, beaus douz amis. 2700 Qant gel verrai, ce m’est avis, Menberra moi de vos sovent. Ja n’avrai si le cuer dolent, Se je le voi, ne soie lie. Ainz, puis que la loi fu jugie, 2705 Ne fu beste si herbergie Ne en si riche lit couchie. Amis Tristran, j’ai un anel, Un jaspe vert a un seel. Beau sire, por l’amor de moi, 2710 Portez l’anel en vostre doi ; Et s’il vos vient, sire, a corage Que me mandez rien par mesage, Tant vos dirai, ce saciez bien, Certes, je n’en croiroie rien, [84] 2715 Se cest anel, sire, ne voi. Mais, por defense de nul roi, Se voi l’anel, ne lairai mie, Ou soit savoir ou soit folie, Ne face con que il dira, 2720 Qui cest anel m’aportera, Por ce3qu’il soit a nostre anor : Je vos pramet par fine amor. Amis, dorrez me vos tel don, Husdant le baut, par le landon ? » 2725 Et il respont : « La moie amie, Husdent vos doins par drüerie. — Sire, c’est la vostre merci. Qant du brachet m’avez seisi, Tenez l’anel, de gerredon. » 2730 De son doi l’oste, met u son. Tristran en bese la roïne, Et ele lui, par la saisine.   Li hermites en vet au Mont, Por les richeces qui la sont. 2735 Assés achate ver et gris, Dras de soie et de porpre bis, Escarlates et blanc chainsil, Asez plus blanc que flor de lil, Et palefroi souef anblant, 2740 Bien atornez d’or flanboiant. 3.  Erreur de segmentation dans l’édition txm.bfm-corpus.org 57 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Ogrins l’ermite tant achate Et tant acroit et tant barate Pailes, vairs et gris et hermine Que richement vest la roïne. 2745   Par Cornoualle fait huchier Li rois s’acorde a sa mollier : « Devant le Gué Aventuros [85] Iert pris acordement de nos. » Oï en ont par tot la fame ; 2750 N’i remest chevalier ne dame Qui ne vienge a cel’asenblee. La roïne ont mot desirree : Amee estoit de tote gent, Fors des felons que Dex cravent ! 2755 Tuit quatre en orent tels soudees : Li dui en furent mort d’espees, Li tierz d’une seete ocis ; A duel morurent el païs. Li forestier quis encusa 2760 Mort crüele n’en refusa ; Quar Perinis, li franc, li blois, L’ocist puis d’un gibet el bois. Dex les venga de toz ces quatre, Qui vout le fier orguel abatre. 2765   Seignors, au jor du parlement Fu li rois Marc o mot grant gent. La out tendu maint pavellon Et mainte tente de baron : Loin ont porpris la praerie. 2770 Tristran chevauchë o s’amie, Tristran chevauche et voit le merc. Souz son bliaut ot son hauberc ; Quar grant poor avoit de soi, Por ce qu’il out mesfait au roi. 2775 Choisi les tentes par la pree, Conut li roi et l’asenblee. Iseut apele bonement : « Dame, vos retenez Hudent. Pri vos, por Deu, que le gardez ; [86] 2780 S’onques l’amastes, donc l’amez. Vez la le roi, vostre seignor, O lui li home de s’onor. Nos ne porron mais longuement Aler nos deus a parlement. 2785 Je vois venir ces chevaliers Et le roi et ses soudoiers, Dame, qui vienent contre nos. Por Deu, le riche glorios, txm.bfm-corpus.org 58 Base de français médiéval 2790 2795 2800 2805 2810 [87] 2815 2820 2825 2830 2835 txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan Se je vos mant aucune chose, Hastivement ou a grant pose, Dame, faites mes volentez. — Amis Tristran, or m’escoutez. Par cele foi que je vos doi, Se cel anel de vostre doi Ne m’envoiez, si que jel voie, Rien qu’il deïst ge ne croiroie. Mais, des que reverrai l’anel, Ne tor ne mur ne fort chastel Ne me tendra ne face errant Le mandement de mon amant, Solonc m’enor et loiauté Et je sace soit vostre gré. — Dame, fait il, Dex gré te sace ! » Vers soi l’atrait, des braz l’enbrace. Yseut parla, qui n’ert pas fole : « Amis, entent a ma parole. — Or me fai donc bien a entendre. — Tu me conduiz, si me veuz rendre Au roi, par le consel Ogrin, L’ermite, qui ait bone fin. Por Deu vos pri, beaus douz amis, Que ne partez de cest païs Tant qos saciez conment li rois Sera vers moi, iriez ou voirs. Gel prié, qui sui ta chiere drue, Qant li rois m’avra retenue, Que chiés Orri le forestier T’alles la nuit la herbergier. Por moi sejorner ne t’ennuit ! Nos i geümes mainte nuit, En nostre lit que nos fist faire Li trois qui nos quierent moleste Mal troveront en la parfin : Li cors giront el bois, sovin, Beau chiers amis, et g’en ai dote : Enfer ovre, qui les tranglote ! Ges dot, quar il sont mot felon. El buen celier, soz le boron, Seras entrez, li miens amis. Manderai toi par Perinis Les noveles de la roi cort. Li miens amis, que Dex t’enort ! Ne t’ennuit pas la herbergier ! Sovent verrez mon mesagier : Manderai toi de ci mon estre Par mon vaslet et a ton mestre — Non fera il, ma chiere amie. 59 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Qui vos reprovera folie Gart soi de moi con d’anemi ! 2840 — Sire, dist Yseut, grant merci ! Or sui je mot boneüree : A grant fin m’avez asenee. »   Tant sont alé et cil venu Qu’il s’entredïent lor salu. 2845 Li rois venoit mot fierement [88] Le trait d’un arc devant sa gent ; O lui Dinas, qui, de Dinan. Par la reigne tenoit Tristran La roïne, qui conduioit. 2850 La, salua si com il doit : « Rois, ge te rent Yseut, la gente : Hon ne fist mais plus riche rente. Ci voi les homes de ta terre Et, oiant eus, te vuel requerre 2855 Que me sueffres a esligier Et en ta cort moi deraisnier C’onques o lié n’oi drüerie, Ne ele o moi, jor de ma vie. Acroire t’a l’en fait mençonge ; 2860 Mais, se Dex joie et bien me donge, Onques ne firent jugement. Conbatre a pié ou autrement Dedenz ta cort, sire, m’en soffre. Se sui dannez, si m’art en soffre. 2865 Et, se je m’en pus faire sauf, Qu’il n’i ait chevelu ne chauf Si me retien ovocques toi, O m’en irai en Loenoi. »   Li rois a son nevo parole. 2870 Andrez, qui fu nez de Nicole, Li a dit : « Rois, quar le retiens, Plus en seras doutez et criens. » Mot en faut poi que ne l’otroie, Le cuer forment l’en asouploie. 2875 A une part li rois le trait ; La roïne ovoc Dinas let, Qui mot par ert voirs et loiaus Et d’anor faire conmunax. [89] O la roïne geue et gabe, 2880 Du col li a osté la chape, Qui ert d’escarlate mot riche. Ele out vestu une tunique Desus un grant bliaut de soie. De son mantel que vos diroie ? 2885 Ainz l’ermite, qui l’achata, Le riche fuer ne regreta. txm.bfm-corpus.org 60 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Riche ert la robe et gent le cors : Les eulz out vers, les cheveus sors. Li seneschaus o lié s’envoise. 2890 As trois barons forment en poise : Mal aient il, trop sont engrés ! Ja se trairont du roi plus pres : « Sire, font il, a nos entent : Consel te doron bonement. 2895 La roïne a esté blasmee Et foï hors de ta contree. Se a ta cort resont ensenble, Ja dira l’en, si con nos senble, Que en consent lor felonie : 2900 Poi i avra qui ce ne die. Lai de ta cort partir Tristran ; Et, quant vendra jusqu’a un an, Que tu seras aseürez Qu’Yseut te tienge loiautez, 2905 Mande Tristran qu’il vienge a toi. Ce te loons par bone foi. » Li rois respont : « Que que nus die, De vos conselz n’istrai je mie. » Ariere en vienent li baron, 2910 Por le roi content sa raison. Quant Tristran oit n’i a porloigne, [90] Que li rois veut qu’il s’en esloigne, De la roïne congié prent ; L’un l’autre esgarde bonement. 2915 La roïne fu coloree, Vergoigne avoit por l’asenblee. Tristran s’en part, ce m’est avis : Dex ! tant cuer fist le jor pensis ! Li rois demande ou tornera. 2920 Qant qu’il voudra, tot li dorra ; Mot par li a a bandon mis Or et argent et vair et gris. Tristran dist : « Rois de Cornoualle, Je n’en prendrai mie maalle. 2925 A qant que puis vois a grant joie, Au roi riche que l’en gerroie. »   Mot out Tristran riche convoi Des barons et de Marc le roi. Vers la mer vet Tristran sa voie. 2930 Yseut o les euz le convoie ; Tant con de lui ot la veüe De la place ne se remue. Tristran s’en vet, retorné sont Cil qui pose convoié l’ont. 2935 Dinas encor le convoiout, txm.bfm-corpus.org 61 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Sovent le besse et li proiot Seürement revienge a lui. Entrafié se sont il dui : « Dinas, entent un poi a moi. 2940 De ci m’en part, bien sez por qoi. Se je te mant par Governal Aucune chose besoignal, Avance la, si con tu doiz. » Baisié se sont plus de set foiz. [91] 2945 Dinas li prie ja nel dot, Die son buen : il fera tot. Dit mot a bele desevree Mais, sor sa foi aseüree, La retendra ensenble o soi. 2950 Non feroit, certes, por le roi. Iluec Tristran de lui s’en torne : Au departir andui sont morne.   Dinas s’en vient aprés le roi, Qui l’atendoit a un chaumoi. 2955 Ore chevauchent li baron Vers la cité tot a bandon. Tote la gent ist de la vile, Et furent plus de quatre mile, Qu’omes que femes que enfanz ; 2960 Que por Yseut, que por Tristranz, Mervellose joie menoient. Li saint par la cité sonoient. Qant il oient Tristran s’en vet, N’i a un sol grant duel ne fet. 2965 D’Iseut grant joie demenoient, De lui servir mot se penoient ; Quar, ce saciez, ainz n’i ot rue Ne fust de paile portendue : Cil qui n’out paile mist cortine. 2970 Par la ou aloit la roïne Est la rue mot bien jonchie. Tot contremont, par la chaucie, Si vont au mostier Saint Sanson. La roïne et tuit li baron 2975 En sont trestuit ensenble alé. Evesque, clerc, moine et abé Encontre lié sont tuit issu, [92] D’aubes, de chapes revestu ; Et la roïne est decendue, 2980 D’une porpre inde fu vestue. L’evesque l’a par la main prise, Si l’a dedenz le mostier mise ; Tot droit la meinent a l’auter. Dinas li preuz, qui mot fu ber, txm.bfm-corpus.org 62 Base de français médiéval — Béroul : Tristan 2985 Li aporta un garnement Qui bien valoit cent mars d’argent, Un riche paile fait d’orfrois (Onques n’out tel ne qens ne rois) ; Et la roïne Yseut l’a pris 2990 Et, par buen cuer, sor l’autel mis. Une chasublë en fu faite, Qui ja du tresor n’iert hors traite Se as grans festes anvés non. Encore est ele a Saint Sanson : 2995 Ce dïent cil qui l’ont veüe. Atant est du mostier issue. Li rois, li prince et li contor L’en meinent el palais hauçor. Grant joie i ont le jor menee. 3000 Onques porte n’i fu veee : Qui vout entrer si pout mengier, Onc a nul n’i fist on dangier. Mot l’ont le jor tuit honoree : Ainz le jor que fu esposee 3005 Ne li fist hom si grant honor Con l’on li a fait icel jor. Le jor franchi li rois cent sers Et donna armes et haubers A vint danzeaus qu’il adouba. 3010 Or oiez que Tristran fera. [93]   Tristran s’en part, fait a sa rente. Let le chemin, prent une sente ; Tant a erré voie et sentier Qu’a la herberge au forestier 3015 En est venu celeement. Par l’entree priveement Le mist Orri el bel celier. Tot li trove quant q’ot mestier. Orris estoit mervelles frans. 3020 Senglers, lehes prenet o pans, En ses haies grans cers et biches, Dains et chevreus. Il n’ert pas chiches, Mot en donet a ses serjanz. O Tristran ert la sejornanz 3025 Priveement en souterrin. Par Perinis, li franc meschin, Soit Tristran noves de s’amie.   Oiez des trois, que Dex maudie, Par qui Tristran an est alez : 3030 Par eus fu mot li rois malez. Ne tarja pas un mois entier Que li rois Marc ala chacier, txm.bfm-corpus.org 63 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Et avoc lui li traïtor. Or escoutez que font cel jor : 3035 En une lande, a une part, Ourent ars li vilain essart ; Li rois s’estut el bruelleïz, De ses buens chiens oï les cris. La sont venu li troi baron, 3040 Qui le roi mistrent a raison : « Rois, or entent nostre parole. Se la roïne a esté fole, [94] El n’en fist onques escondit. S’a vilanie vos est dit ; 3045 Et li baron de ton païs T’en ont par mainte foiz requis, Qu’il vuelent bien s’en escondie Qu’o Tristran n’ot sa drüerie. Escondire se doit c’on ment. 3050 Si l’en fait faire jugement Et enevoies l’en requier, Priveement, a ton couchier. S’ele ne s’en veut escondire, Lai l’en aler de ton enpire. » 3055   Li rois rogi, qui escouta : « Par Deu ! seignors Cornot, mot a Ne finastes de lié reter. De tel chose l’oi ci reter Qui bien peüst remaindre a tant. 3060 Dites se vos alez querant Que la roïne aut en Irlande. Chascun de vos que li demande ? N’offri Tristran li a defendre ? Ainz n’en osastes armes prendre. 3065 Par vos est il hors du païs. Or m’avez vos du tot sorpris. Lui ai chacié : or chaz ma feme ? Cent dehez ait par mié la cane Qui me rova de lui partir ! 3070 Par saint Estiene le martir, Vos me sorquerez, ce me poise. Quel mervelle que l’en si toise ! S’il se mesfist, il est en fort. N’avez cure de mon deport, 3075 O vos ne puis plus avoir pes. [95] Par saint Tresmor de Caharés, Ge vos ferai un geu parti : Ainz ne verroiz passé marsdi (Hui est lundi), si le verrez. » 3080 Li rois les a si esfreez Qu’il n’i a el fors prengent fuie. txm.bfm-corpus.org 64 Base de français médiéval 3085 3090 3095 3100 3105 [96] 3110 3115 3120 3125 3130 txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan Li rois Marc dist : « Dex vos destruie, Qui si alez querant ma honte ! Por noient, certes, ne vos monte : Ge ferai le baron venir Que vos avïez fait fuïr. » Qant il voient le roi marri, En la lande, soz un larri, Sont decendu tuit troi a pié, Li rois lessent el chanp, irié. Entre eus dïent : « Que porron faire ? Li rois Marc est trop deputaire ; Bien tost mandera son neveu, Ja n’i tendra ne fei ne veu. S’il ça revient, de nos est fins : Ja en forest ne en chemin Ne trovera nul de nos trois Le sanc n’en traie du cors, frois. Dison le roi or avra pes, N’en parleron a lui jamés. » Enmié l’essart li rois s’estot. La sont venu ; tost les destot, De lor parole n’a mes cure ; La loi qu’il tient de Deu en jure Tot souavet entre ses denz : Mar fu jostez cist parlemenz. S’il eüst or la force o soi, La fusent pris, ce dit, tuit troi. « Sire, font il, entendez nos : Marriz estes et coroços Por ce que nos dison t’anor. L’en devroit par droit son seignor Consellier : tu nos sez mal gré. Mal ait quant qu’a soz son baudré (Ja mar o toi s’en marrira) Cil qui te het ! Cil s’en ira ; Mais nos, qui somes ti feel, Te donions loial consel. Quant ne nos croiz, fait ton plaisir : Assez nos en orras taisir. Icest mal talent nos pardonne. » Li rois escoute, mot ne sone, Sor son arçon s’est acoutez, Ne s’est vers eus noient tornez : « Seignors, mot a encor petit Que vos oïstes l’escondit Que mes niés fist de ma mollier : Ne vosistes escu ballier. Querant alez a terre pié. La meslee des or vos vié. 65 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Or gerpisiez tote ma terre. Par saint André, que l’en vet querre Outre la mer, jusque en Escoce, Mis m’en avez el cuer la boce, 3135 Qui n’en istra jusqu’a un an : G’en ai por vos chacié Tristran. »   Devant lui vienent li felon, Godoïnë et Guenelon Et Danaalain que fu mot feus ; 3140 Li roi ont aresnié entre eus, Mais n’i porent plai encontrer : [97] Vet s’en li rois sanz plus ester. Cil s’en partent du roi par mal. Forz chasteaus ont, bien clos de pal, 3145 Soiant sor roche, sor haut pui ; A lor seignor feront ennui, Se la chose n’est amendee.   Li rois n’a pas fait longe estee, N’atendi chien ne veneor ; 3150 A Tintajol, devant sa tor, Est decendu, dedenz s’en entre : (Nus ne set ne ne voit son estre) Es chanbres entre, çaint’espee. Yseut s’est contre lui levee, 3155 Encontre vient, s’espee a prise, Pus est as piez le roi asise. Prist l’a la main, si l’en leva ; La roïne li enclina, Amont le regarde, a la chiere, 3160 Molt la vit et cruel et fiere, Aperçut soi qu’il ert marriz : Venuz s’en est aeschariz. « Lasse, fait ele, mes amis Est trovez, mes sires l’a pris ! » 3165 Souef le dit entre ses denz. Li sanz de li ne fu si loinz Qu’il ne li set monté el vis, Li cuer el ventre li froidist ; Devant le roi choï enverse, 3170 Pasme soi, sa color a perse Q’entre ses braz l’en a levee, Besie l’a et acolee ; Pensa que mal l’eüst ferue. Quant de pasmer fu revenue : [98] 3175 « Ma chiere amie, que avez ? » — Sire, poor. — Ne vus tamez. » Qant ele l’ot qui l’aseüre, Sa color vient, si aseüre ; Adonc li rest asouagié. txm.bfm-corpus.org 66 Base de français médiéval 3180 3185 3190 3195 3200 3205 [99] 3210 3215 3220 3225 txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan Mot bel a le roi aresnié : « Sire, ge voi a ta color, Fait t’ont marri ti veneor. Ne te doiz ja marrir de chace. » Li rois l’entent, rist, si l’enbrace, E li a fait li rois : « Amie, J’ai trois felons, d’ancesorie, Qui heent mon amendement ; Mais se encor nes en desment, Que nes enchaz fors de ma terre, Li fel ne criement mais ma gerre. Il m’ont asez adesentu, Et je lor ai trop consentu : N’i a mais rien del covertir. Par lor parler, par lor mentir, Ai mon nevo de moi chacié. N’ai mais cure de lor marchié, Prochainement s’en revendra, Des trois felons me vengera : Par lui seront encor pendu. » La roïne l’a entendu ; Ja parlast haut, mais ele n’ose ; El fu sage, si se repose Et dist : « Dex i a fait vertuz, Qant mes sires s’est irascuz Vers ceus par qui blasme ert levé. Deu pri qu’il soient vergondé. » Souef le dit, que nus ne l’ot. La bele Yseut, qui parler sot, Tot sinplement a dit au roi : « Sire, quel mal ont dit de moi ? Chascun puet dire ce qu’il pense. Fors vos, ge n’ai nule defense : Por ce vont il querant mon mal. De Deu, le pere esperital, Aient il male maudiçon ! Tantes foiz m’ont mis en frichon ! — Dame, fait li rois, or m’entent : Parti s’en sont par mautalent Trois de mes plus proisiez barons. — Sire, porqoi ? Par quels raisons ? — Blasmer te font. — Sire, porqoi ? — Gel te dirai, » dit li li roi : « N’as fait de Tristran escondit. — Se je l’en faz ? — Et il m’ont dit Qu’il le m’ont dit. — Ge prest’en sui. — Qant le feras ? Ancor ancui ? — Brif terme i met. — Asez est loncs. — Sire, por Deu et por ses nons, 67 Base de français médiéval 3230 3235 3240 [100] 3245 3250 3255 3260 3265 3270 [101] 3275 txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan Entent a moi, si me conselle. Que puet ce estre ? Quel mervelle Qu’il ne me lesent an pes eure ! Se Damledeu mon cors seceure, Escondit mais ne lor ferai, Fors un que je deviserai. Se lor faisoie soirement, Sire, a ta cort, voiant ta gent, Jusqu’a tierz jor me rediroient Q’autre escondit avoir voudroient. Rois, n’ai en cest païs parent Qui por le mien desraignement En feïst gerre ne revel. Mais de ce me seret mot bel. De lor rebeche n’ai mes cure. Se il vuelent avoir ma jure Ou s’il volent loi de juïse, Ja n’en voudront si roide guise (Metent le terme) que ne face. A terme avrai en mié la place Li roi Artus et sa mesnie. Se devant lui sui alegie, Qui me voudroit aprés sordire, Cil me voudroient escondire, Qui avront veü ma deraisne, Vers un Cornot ou vers un Saisne. Por ce m’est bel que cil i soient Et mon deresne a lor eulz voient. Se en place est Artus li rois, Gauvains, ses niés, li plus cortois, Girflez et Qeu li seneschaus, Tex cent en a li rois vasaus N’en mentiront por rien qu’il oient, Por les seurdiz se conbatroient. Rois, por c’est biens devant eus set Faiz li deraisne de mon droit. Li Cornot sont reherceor, De pluseurs evres tricheor. Esgarde un terme, si lor mande Que tu veus a la Blanche Lande Tuit i soient, et povre et riche. Qui n’i sera, tres bien t’afiche Que lor toudras lor herité : Si reseras d’eus aquité. Et li mien cors est toz seürs, Des que verra li roi Artus Mon mesage, qu’il vendra ça : Son corage sai des piça. » Li rois respont : « Bien avez dit. » 68 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Atant est li termes baniz A quinze jorz par le païs. 3280 Li rois le mande a trois naïs Que par mal sont parti de cort : Mot en sont lié, a que qu’il tort.   Or sevent tuit par la contree Le terme asis de l’asenblee, 3285 Et que la ert li rois Artus, Et de ses chevaliers le plus O lui vendront de sa mesnie. Yseut ne s’ert mie atargie : Par Perinis manda Tristran 3290 Tote la paine et tot l’ahan Qu’el a por lui ouan eüe. Or l’en soit la bonté rendue ! Metre la puet, s’il veut, en pes : « Di li qu’il set bien un marchés, 3295 Au chief des planches, au Mal Pas : G’i sollé ja un poi mes dras. Sor la mote, el chief de la planche, Un poi deça la Lande Blanche, Soit, revestuz de dras de ladre ; 3300 Un henap port o soi de madre (Une botele ait dedesoz), O coroie atachié par noz ; A l’autre main tienge un puiot, Si aprenge de tel tripot. 3305 Au terme ert sor la mote assis : Ja set assez bociez son vis ; [102] Port le henap devant son front, A ceus qui iluec passeront Demant l’aumosne sinplement. 3310 Il li dorront or et argent : Gart moi l’argent, tant que le voie Priveement, en chanbre coie. » Dist Perinis : « Dame, par foi, Bien li dirai si le secroi. » 3315   Perinis part de la roïne ; El bois, par mié une gaudine, Entre, tot sos par le bois vet ; A l’avesprer vient au recet Ou Tristran ert, el bel celier. 3320 Levé estoient du mengier. Liez fu Tristran de sa venue : Bien sout, noveles de sa drue Li aporte li vaslet frans. Il dui se tienent par les mains, 3325 Sor un sige haut sont monté. Perinis li a tot conté txm.bfm-corpus.org 69 Base de français médiéval 3330 3335 [103] 3340 3345 3350 3355 3360 3365 3370 [104] 3375 txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan Le mesage de la roïne. Tristran vers terre un poi encline Et jure quant que puet ataindre : Mar l’ont pensé ; ne puet remaindre, Il en perdront encor les testes Et as forches pendront, as festes. « Di la roïne mot a mot : G’irai au terme, pas n’en dot. Face soi lie, saine et baude ! Ja n’avrai mais bain d’eve chaude Tant qu’a m’espee aie venjance De ceus qui li ont fait pesance : Il sont traïtre fel prové. Di li que tot ai bien trové A sauver soi du soirement. Je la verrai assez briment. Va, si li di que ne s’esmait, Ne dot pas que je n’alle au plet, Atapiné conme tafurs. Bien me verra li rois Artus Soier au chief sor le Mal Pas, Mais il ne me connoistra pas. S’aumosne avrai, se l’en pus traire. A la roïne puez retraire Ce que t’ai dit el sozterrin Que fist fere si bel, perrin. De moi li porte plus saluz Qu’il n’a sor moi botons menuz. — Bien li dirai, » dist Perinis. Lors s’est par les degrez fors mis : « G’en vois au roi Artus, beau sire. Ce mesage m’i estuet dire : Qu’il vienge oïr le soirement, Ensenble o lui chevaliers cent, Qui puis garant li porteroient, Se li felon de rien greignoient A la dame de loiauté. Donc n’est ce bien ? — Or va a Dé. » Toz les degrez en puie a orne, El chaceor monte et s’en torne ; N’avra mais pais a l’esperon, Si ert venu a Cuerlion. Mot out cil poines por servir, Mot l’en devroit mex avenir. Tant a enquis du roi novele Que l’en li a dit bone et bele, Que li rois ert a Isneldone. Cele voie qui l’a s’adone Vet li vaslez Yseut la bele. 70 Base de français médiéval — Béroul : Tristan A un pastor qui chalemele A demandé : « Ou est li rois ? — Sire, fait il, il sit au dois. Ja verroiz la Table Reonde, 3380 Qui tornoie conme le monde. Sa mesnie sit environ. » Dist Perinis : « Ja en iron. » Li vaslet au perron decent, Maintenant s’en entra dedanz. 3385 Mot i avoit filz a contors Et filz a riches vavasors, Qui servoient por armes tuit. Uns d’eus s’en part, con s’il s’en fuit ; Il vint au roi, et il l’apele : 3390 « Va, dont viens tu ? — J’aport novele : La defors a un chevauchant, A grant besoin te va querant. » Atant estes vos Pirinis : Esgardez fu de maint marchis ; 3395 Devant le roi vint a l’estage Ou seoient tuit li barnage. Li vaslet dit tot a seür : « Dex saut, fait il, le roi Artur, Lui et tote sa conpaignie, 3400 De par la bele Yseut s’amie ! »   Li rois se lieve sus des tables : « Et Dex, fait il, esperitables La saut et gart, et toi, amis ! Dex ! fait li rois, tant ai je quis 3405 De lié avoir un sol mesage ! [105] Vaslet, voiant cest mien barnage, Otroi a li qant que requiers. Toi tiers seras fet chevaliers, Por le mesage a la plus bele 3410 Qui soit de ci jusq’en Tudele. — Sire, fait il, vostre merci ! Oiez por qoi sui venu ci ; E s’i entendent cil baron, Et mes sires Gauvain par non. 3415 La roïne s’est acordee O son seignor, n’i a celee : Sire, la ou il s’acorderent, Tuit li baron du reigne i erent. Tristran s’offri a esligier 3420 Et la roïne a deraisnier, Devant le roi, de loiauté. Ainz nus de tele loiauté Ne vout armes saisir ne prendre. Sire, or font le roi Marc entendre txm.bfm-corpus.org 71 Base de français médiéval 3425 3430 3435 [106] 3440 3445 3450 3455 3460 3465 3470 [107] txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan Que il prenge de lié deraisne. Il n’a frans hon, François ne Sesne, A la roi cort, de son linage. Ge oi dire que souef nage Cil qui on sostient le menton. Rois, se nos ja de ce menton, Si me tenez a losengier. Li rois n’a pas coraige entier, Senpres est ci et senpres la. La bele Yseut respondu l’a Qu’ele en fera droit devant vos. Devant le Gué Aventuros Vos requiert et merci vos crie, Comme la vostre chiere amie, Que vos soiez au terme mis, Cent i aiez de vos amis. Vostre cort soit atant loial, Vostre mesnie natural. Dedevant vos iert alegiee, Et Dex la gart que n’i meschiee ! Que, pus li serïez garant, N’en faudrïez ne tant ne quant. D’ui en huit jors est pris le termes. » Plorer en font o groses lermes : N’i a un sol qui de pitié N’en ait des euilz le vis mollié. « Dex ! fait chascun, que li demandent ? Li rois fait ce que il conmandent, Tristran s’en vet fors du païs. Ja ne voist il s’anz paradis, Se li rois veut, qui l’a n’ira Et qui par droit ne l’aidera ! » Gauvains s’en est levé en piez, Parla et dist conme afaitiez : « Oncle, se j’ai de toi l’otrise, La deresne qui est assise Torra a mal as trois felons. Li plus coverz est Guenelons : Gel connois bien, si fait il moi. Gel boutai ja an un fangoi, A un bohort fort et plenier. Se gel retien, par saint Richier, N’i estovra Tristran venir. Se gel pooie as poins tenir, Ge li feroie asez ennui Et lui pendrë an un haut pui. » Gerflet s’en lieve enprés Gauvain Et si s’en vindrent main a main. « Rois, mot par heent la roïne 72 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Denaalain et Godoïne 3475 Et Guenelon, mot a lonc tens. Ja ne me tienge Dex en sens, Se vois encontre Goudoïne, Se de ma grant lance fresnine Ne pasent outre li coutel, 3480 Ja n’en enbraz soz le mantel Bele dame desoz cortine. » Perinis l’ot, le chief li cline. Dit Evains, li filz Urïen : « Asez connois Dinoalain : 3485 Tot son sens met en acuser, Bien set faire le roi muser, Tant li dira que il le croie. Se je l’encontre enmié ma voie, Con je fis ja une autre foiz, 3490 Ja ne m’en tienge lois ne fois, S’il ne se puet de moi defendre, S’a mes deus mains ne le fais pendre. Mot doit on felon chastïer. Du roi joent si losengier. » 3495   Dist Perinis au roi Artur : « Sire, je sui de tant seür Que li felon prendront colee, Qui la roïne ont quis meslee. Ainz a ta cort n’ot menacié 3500 Home de nul luintain reigné Que n’en aiez bien trait a chief : Au partir en remestrent grief Tuit cil qui l’ourent deservi. » Li rois fu liez, un poi rougi : [108] 3505 « Sire vaslez, alez mangier. Cist penseront de lui vengier. » Li rois en son cuer out grant joie ; Parla, bien vout Perinis l’oie : « Mesnie franche et honoree, 3510 Gardez qu’encontre l’asenblee Soient vostre cheval tuit gras, Vostre escu nuef, riche vos dras. Bohorderons devant la bele Dont vos oiez tuit la novele. 3515 Mot porra poi sa vie amer Qui se faindra d’armes porter. »   Li rois les ot trestoz semons : Le terme heent qui’st si lons, Lor vuel fust il a l’endemain. 3520 Oiez du franc de bone main : Perinis le congié demande. Li rois monta sor Passelande, txm.bfm-corpus.org 73 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Qar convoier veut le meschin. Contant vont par mié le chemin : 3525 Tuit li conte sont de la bele Qui metra lance par astele Ainz que parte li parlemenz. Li rois offre les garnemenz Perinis d’estre chevalier, 3530 Mais il nes vout encor ballier. Li rois convoié l’out un poi, Por la bele franche au chief bloi, Ou il n’a point de mautalent : Mot en parloient an alent. 3535 Li vaslez out riche convoi Des chevaliers et du franc roi ; A grant enviz sont departiz. [109] Li rois le claime : « Beaux amis, Alez vos en, ne demorez. 3540 Vostre dame me salüez De son demoine soudoier Qui vient a li por apaier. Totes ferai ses volentez, Por lié serai entalentez. 3545 El me porra mot avancier. Menbre li de l’espié lancier, Qui fu en l’estache feru : Ele savra bien ou ce fu. Prié vos que li dïez einsi. 3550 — Rois, si ferai, gel vos afi. » Adonc hurta le chaceor. Li rois se rest mis el retor. Cil s’en vient : son mesage a fait Perinis qui tant mal a trait 3555 Por le servise a la roïne. Conme plus puet, et il chemine ; Onques un jor ne sejorna Tant qu’il vint la don il torna. Reconté a sa chevauchie 3560 A celui qui mot en fu lie, Du roi Artur et de Tristran. Cele nuit furent a Lidan.   Cele nuit fu la lune dime. Que diroie ? Li terme aprime 3565 De soi alegier la roïne. Tristran, li suens amis, ne fine, Vestu se fu de mainte guise : Il fu en legne, sanz chemise ; De let burel furent les cotes 3570 Et a quarreaus furent ses botes. [110] Une chape de burel lee txm.bfm-corpus.org 74 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Out fait tallier, tote enfumee. Affublez se fu forment bien, Malade senble plus que rien ; 3575 Et nequeden si ot s’espee Entor ses flans estroit noee. Tristran s’en part, ist de l’ostal Celeement, a Governal, Qui li enseigne et si li dit : 3580 « Sire Tristran, ne soiez bric. Prenez garde de la roïne, Qu’el n’en fera semblant et signe. — Maistre fait il, si ferai bien. Gardez que vos faciez mon buen. 3585 Ge me criem mot d’aperchevance. Prenez mon escu et ma lance, Ses m’aportez et mon cheval Enreignez, mestre Governal. Se mestier m’est, que vos soiez 3590 Au pasage, prez, enbuschiez : Vos savez bien le buen passage, Pieç’a que vos en estes sage. Li cheval est blans conme flor : Covrez le bien trestot entor, 3595 Que il ne soit mes conneüz Ne de nul home aperceüz. La ert Artus atot sa gent, Et li rois Marc tot ensement. Cil chevalier d’estrange terre 3600 Bohorderont por los aquerre ; Et, por l’amour Yseut m’amie, I ferai tost une esbaudie. Sus la lance soit le penon [111] Dont la bele me fist le don. 3605 Mestre, or alez, pri vos forment Que le faciez mot sauvement. » Prist son henap et son puiot, Le congié prist de lui, si l’ot.   Governal vint a son ostel, 3610 Son hernois prist, ainz ne fist el, Puis si se mist tost a la voie. Il n’a cure que nus le voie. Tant a erré qu’enbuschiez s’est Pres de Tristran, qui au Pas est. 3615 Sor la mote, au chief de la mare, S’asist Tristran sanz autre afaire. Devant soi fiche son bordon : Atachié fu a un cordon A quei l’avet pendu au col. 3620 Entor lui sont li taier mol. txm.bfm-corpus.org 75 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Sor la mote forment se tret. Ne senbla pas home contret, Qar il ert gros et corporuz, Il n’ert pas nains, contrez, boçuz. 3625 La rote entent, la s’est asis. Mot ot bien bocelé son vis. Qant aucun passe devant lui, En plaignant disoit : « Mar i fui ! Ja ne quidai estre aumosnier 3630 Ne servir jor de cest mestier, Mais n’en poon or mais el faire. » Tristran lor fait des borses trere, Que il fait tant chascun li done. Il les reçoit, que mot ne sone. 3635 Tex a esté set anz mignon Ne set si bien traire guignon. [112] Meïsmes li corlain a pié Et li garçon li mains proisié, Qui vont mangant par le chemin, 3640 Tristran, qui tient le chief enclin, Lor aumosne por Deu lor quiert. L’un l’en done, l’autre le fiert. Li cuvert gars, li desfaé Mignon, herlot l’ont apelé. 3645 Escoute Tristran, mot ne sone : Por Deu, ce dit, le lor pardone. Li corbel, qui sont plain de rage, Li font ennui, et il est sage. Truant le claiment et herlot. 3650 Il les convoie o le puiot, Plus de quatorze en fait saigner, Si qu’il ne püent estanchier. Li franc vaslet de bone orine Ferlin ou maalle esterline 3655 Li ont doné : il les reçoit. Il lor dit que il a toz boit, Si grant arson a en son cors A poine l’en puet geter fors. Tuit cil qui l’oient si parler 3660 De pitié prenent a plorer ; Ne tant ne quant pas nu mescroient Qu’il ne soit ladres cil quil voient.   Pensent vaslet et escuier Qu’il se hastent de soi logier 3665 Et des tres tendre lor seignors, Pavellons de maintes colors : N’i a riche home n’ait sa tente. A plain erre, chemin et sente, Li chevalier vienent aprés. txm.bfm-corpus.org 76 Base de français médiéval — Béroul : Tristan [113] 3670 Mot a grant presse en cel marchés ; Esfondré l’ont, mos est li fans. Li cheval entrent jusq’as flans, Maint en i chiet, qui que s’en traie. Tristran s’en rist, point ne s’esmaie, 3675 Par contraire lor dit a toz : « Tenez vos reignes par les noz, Si hurtez bien de l’esperon ; Par Deu, ferez de l’esperon, Qu’il n’a avant point de taier. » 3680 Qant il le pensent essaier, Li marois font desoz lor piez. Chascun qui entre est entaiez : Qui n’a hueses, s’en a soffrete. Li ladres a sa main fors traite ; 3685 Qant en voi un qui el tai voitre, Adonc flavele cil a cuite. Qant il le voit plus en fangoi, Li ladres dit : « Pensez de moi, Que Dex vos get fors du Mal Pas ! 3690 Aidiez a noveler mes dras. » O sa botele el henap fiert, En estrange leu les requiert ; Mais il le fait par lecherie, Qant or verra passer s’amie, 3695 Yseut, qui a la crine bloie, Que ele an ait en son cuer joie.   Mot a grant noise en cel Mal Pas. Li passeor sollent lor dras, De luien puet l’om oïr les huz 3700 De ceus qui solle la paluz. Cil qui la passe n’est seürs. Atant es vos le roi Artus : [114] Esgarder vient le passeor, O lui de ses barons plusor. 3705 Criement que li marois ne fonde. Tuit cil de la Table Reonde Furent venu sor le Mal Pas, O escus fres, o chevaus cras, De lor armes entreseigné. 3710 Tuit sont covert, que mens que pié ; Maint drap de soie i ot levé. Bohordant vont devant le gé.   Tristan connoissoit bien le roi Artus, si l’apela a soi : 3715 « Sire Artus, rois, je sui malades, Bociez, meseaus, desfaiz et fades. Povre est mon pere, n’out ainz terre. Ça sui venuz l’aumosne querre, txm.bfm-corpus.org 77 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Mot ai oï de toi bien dire, 3720 Tu ne me doiz pas escondire. Tu es vestu de beaus grisens De Renebors, si con je pens. Desoz la toile rencïene La toue char est blanche et plaine. 3725 Tes janbes voi de riche paile Chaucies et o verte maile, et les sorchauz d’une escarlate. Rois Artus, voiz con je me grate ? J’ai les granz froiz, qui qu’ait les chauz. 3730 Por Deu me donne ces sorchauz. » Li nobles rois an ot pitié : Dui damoisel l’ont deschaucié. Li malades les sorchaux prent, Otot s’en vet isnelement, 3735 Asis se rest sor la muterne. [115] Li ladres nus de ceus n’esperne Qui devant lui sont trespassé ; Fins dras en a a grant plenté Et les sorchauz Artus le roi. 3740   Tristran s’asist sor le maroi. Qant il se fu iluec assis, Li rois Marc, fiers et posteïs, Chevaucha fort vers le taier. Tristran l’aqeut a essaier 3745 S’il porra rien avoir du suen. Son flavel sonë a haut suen, A sa voiz roe crie a paine, O le nes fait subler l’alaine : « Por Deu, roi Marc, un poi de bien ! » 3750 S’aumuce trait, si li dit : « Tien, Frere, met la ja sus ton chief : Maintes foiz t’a li tens fait grief. — Sire, fait il, vostre merci ! Or m’avez vos de froit gari. » 3755 Desoz la chape a mis l’aumuce, Qant qu’il puet la trestorne et muce. « Dom es tu, ladres ? » fait li rois. — « De Carloon, filz d’un Galois. — Qanz anz as esté fors de gent ? 3760 — Sire, trois anz i a, ne ment. Tant con je fui en saine vie, Mot avoie cortoise amie. Por lié ai je ces boces lees ; Ces tartaries plain dolees 3765 Me fait et nuit et jor soner Et o la noisë estoner Toz ceus qui je demant du lor txm.bfm-corpus.org 78 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Por amor Deu le criator. » [116] Li rois li dit : « Ne celez mie 3770 Conment ce te donna t’amie. » — Dans rois, ses sires ert meseaus, O lié faisoie mes joiaus, Cist maus me prist de la comune. Mais plus bele ne fu que une. 3775 — Qui est ele ? — La bele Yseut : Einsi se vest con cele seut. » Li rois l’entent, riant s’en part. Li rois Artus de l’autre part En est venuz, qui bohordot ; 3780 Joios se fist, que plus ne pout. Artus enquist de la roïne. « El vient, fait Marc, par la gaudine, Dan roi, ele vient o Andret : De lié conduire s’entremet. » 3785 Dist l’un a l’autre : « Ne sai pas Conment isse de cest Mal Pas. Or eston ci, si prenon garde. »   Li troi felon (qui mal feu arde !) Vindrent au gué, si demanderent 3790 Au malade par ont passerent Cil qui mains furent entaié. Tristran a son puiot drecié Et lor enseigne un grant molanc : « Vez la cel torbe aprés cel fanc, 3795 La est li droiz asseneors ; G’i ai veü passer plusors. » Li felon entrent en la fange. La ou li ladres lor enseigne, Fange troverent a mervelle 3800 Desi q’as auves de la selle. Tuit troi chïent a une flote. [117] Li malade fu sus la mote, Si lor cria : « Poigniez a fort, Se vos estes de tel tai ort. 3805 Alez, segnor ! Par saint apostre, Si me done chascun du vostre ! » Li cheval fondent el taier : Cil se prenent a esmaier, Qar ne trovent rive ne fonz. 3810 Cil qui bohordent sor le mont Sont acoru isnelement. Oiez du ladre com il ment : « Seignors, fait il a ces barons, Tenez vos biens a vos archons. 3815 Mal ait cil fans qui si est mos ! Ostez ces manteaus de vos cox, txm.bfm-corpus.org 79 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Si braçoiez parmié le tai. Je vos di bien (que tres bien sai), G’i ai hui veü gent passer. » 3820 Qui donc veïst henap casser ! Qant li ladres le henap loche, O la coroie fiert la boche Et o l’autre des mains flavele. Atant es vos Yseut la bele. 3825 El taier vit ses ainemis, Sor la mote sist ses amis. Joie en a grant, rit et envoise, A pié decent sor la faloise.   De l’autre part furent li roi 3830 Et li baron qu’il ont o soi, Qui esgardent ceus du taier Torner sor coste et ventrellier. Et li malades les argüe : « Seignors, la roïne est venue [118] 3835 Por fere son desresnement, Alez oïr cel jugement. » Poi en i a joie n’en ait. Oiez del ladre, du desfait, Donoalen met a raison : 3840 « Pren t’a la main a mon baston, Tire a deus poinz mot durement. » Et cil li tent tot maintenant. Le baston li let li degiez : Ariere chiet, tot est plungiez, 3845 N’en vit on fors le poil rebors. Et qant il fu du tai trait fors, Fait li malades : « N’en poi mes. J’ai endormi jointes et ners, Les mains gourdes por le mal d’Acre, 3850 Les piez enflez por le poacre. Li maus a enpirez ma force, Ses sont mi braz com une escorce. »   Dinas estoit o la roïne, Aperçut soi, de l’uiel li cline. 3855 Bien sout Tristran ert soz la chape, Les trois felons vit en la trape ; Mot li fu bel et mot li plot De ce qu’il sont en lait tripot. A grant martire et a dolor 3860 Sont issu li encuseor Du taier defors : a certain, Ja ne seront mais net sanz bain. Voiant le pueple, se despollent, Li dras laisent, autres racuellent. 3865 Mais or oiez du franc Dinas, txm.bfm-corpus.org 80 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Qui fu de l’autre part du Pas : La roïne met a raison. [119] « Dame, fait il, cel siglaton Estera ja forment laidiz. 3870 Cist garez est plain de rouïz : Marriz en sui, forment m’en poise, Se a vos dras point en adoise. » Yseut rist, qui n’ert pas coarde, De l’uel li guigne, si l’esgarde. 3875 Le penser sout a la roïne. Un poi aval, lez une espine, Torne a un gué lui et Andrez, Ou trespasserent auques nez.   De l’autre part fu Yseut sole. 3880 Devant le gué fu grant la fole Des deus rois et de lor barnage. Oiez d’Yseut com el fu sage ! Bien savoit que cil l’esgardoient Qui outre le Mal Pas estoient. 3885 Ele est au palefroi venue, Prent les langues de la sanbue. Ses noua desus les arçons : Nus escuiers ne nus garçons Por le taier mex nes levast 3890 Ne ja mex nes aparellast. Le lorain boute soz la selle, Le poitral oste Yseut la bele, Au palefroi oste son frain. Sa robe tient en une main, 3895 En l’autre la corgie tint. Au gué o le palefroi vint, De la corgie l’a feru, Et il passe outre la palu.   La roïne out mot grant esgart 3900 De ceus qui sont de l’autre part. [120] Li roi prisié s’en esbahirent, Et tuit li autre qui le virent. La roïne out de soie dras : Aporté furent de Baudas, 3905 Forré furent de blanc hermine. Mantel, bliaut, tot li traïne. Sor ses espaules sont si crin, Bendé a ligne sor or fin. Un cercle d’or out sor son chief, 3910 Qui empare de chief en chief, Color rosine, fresche et blanche. Einsi s’adrece vers la planche : « Ge vuel avoir a toi afere. — Roïne franche, debonere, txm.bfm-corpus.org 81 Base de français médiéval — Béroul : Tristan 3915 A toi irai sanz escondire, Mais je ne sai que tu veus dire. — Ne vuel mes dras enpalüer : Asne seras de moi porter Tot souavet par sus la planche. 3920 — Avoi ! fait il, roïne franche, Ne me requerez pas tel plet : Ge sui ladres, boçu, desfait. — Cuite, fait ele, un poi t’arenge. Quides tu que ton mal me prenge ? 3925 N’en aies doute, non fera. — A ! Dex, fait il, ce que sera ? A lui parler point ne m’ennoie. » O le puiot sovent s’apoie. « Diva ! malades, mot es gros ! 3930 Tor la ton vis et ça ton dos : Ge monterai conme vaslet. » Et lors s’en sorrist li deget, Torne le dos, et ele monte. [121] Tuit les gardent, et roi et conte. 3935 Ses cuises tient sor son puiot : L’un pié sorlieve et l’autre clot, Sovent fait senblant de choier, Grant chiere fai de soi doloir. Yseut la bele chevaucha, 3940 Janbe deça, janbe dela. Dist l’un a l’autre : « Or esgardez . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Vez la roïne chevauchier Un malade qui seut clochier. 3945 Pres qu’il ne chiet de sor la planche, Son puiot tient desor sa hanche. Alon encontre cel mesel A l’issue de cest gacel. » La corurent li damoisel 3950 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Li roi Artus cele part torne, Et li autre trestot a orne. Li ladres ot enclin le vis, De l’autre part vint el païs. 3955 Yseut se lait escolorgier. Li ladres prent a reperier, Au departir il redemande La bele Yseut anuit viande. Artus dist : « Bien l’a deservi. 3960 Ha ! roïne, donez la li ! » Yseut la bele dist au roi : « Par cele foi que je vos doi, Forz truanz est, asez en a, txm.bfm-corpus.org 82 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Ne mangera hui ce qu’il a. 3965 Soz sa chape senti sa guige. Rois, s’aloiere n’apetiche : [122] Les pains demiés et les entiers et les pieces et les quartiers Ai bien parmié le sac sentu. 3970 Viande a, si est bien vestu. De vos sorchauz, s’il les veut vendre, Puet il cinc soz d’esterlins prendre, Et de l’aumuce mon seignor. Achat bien lit, si soit pastor, 3975 Ou un asne qui past le tai. Il est herlot, si que jel sai. Hui a suï bone pasture, Trové a gent a sa mesure. De moi n’en portera qui valle 3980 Un sol ferlinc n’une maalle. » Grant joie en meinent li dui roi. Amené ont son palefroi, Montee l’ont ; d’iluec tornerent. Qui ont armes lors bohorderent. 3985   Tristran s’en vet du parlement, Vient a son mestre, qui l’atent. Deus chevaus riches de Castele Ot amené, o frain, o sele, Et deus lances et deus escuz. 3990 Mot les out bien desconneüz. Des chevaliers que vos diroie ? Une guinple blanche de soie Out Governal sor son chief mise : N’en pert que l’uel en nule guise. 3995 Arire s’en torne le pas, Mot par out bel cheval et cras. Tristran rot le Bel Joeor : Ne puet on pas trover mellor. Cote, sele, destrier et targe [123] 4000 Out couvert d’une noire sarge, Son vis out covert d’un noir voil, Tot out covert et chief et poil. A sa lance ot l’enseigne mise Que la bele li ot tramise. 4005 Chascun monte sor son destrier, Chascun out çaint le brant d’acier. Einsi armé, sor lor chevaus, Par un vert pré, entre deus vaus, Sordent sus en la Blanche Lande. 4010 Gauvains, li niés Artus, demande Gerflet : « Vez en la deus venir, Qui mot vienent de grant aïr. txm.bfm-corpus.org 83 Base de français médiéval 4015 4020 4025 4030 [124] 4035 4040 4045 4050 4055 4060 txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan Nes connois pas ; ses tu qu’il sont ? — Ges connois bien, » Girflet respont. « Noir cheval a et noire enseigne : Ce est li Noirs de la Montaigne. L’autre connois as armes vaires, Qar en cest païs n’en a gaires. Il sont faé, gel sai sanz dote. » Icil vindrent fors de la rote, Les escus pres, lances levees, Les enseignes as fers fermees. Tant bel portent lor garnement Conme s’il fusent né dedenz. Des deus parolent assez plus Li rois Marc et li rois Artus Qu’il ne font de lor deus conpaignes, Qui sont laïs es larges plaignes. Es rens perent li dui sovent, Esgardé sont de mainte gent. Parmié l’angarde ensenble poignent, Mais ne trovent a qui il joignent. La roïne bien les connut : A une part du renc s’estut, Ele et Brengain. Et Andrez vint Sor son destrier, ses armes tint ; Lance levee, l’escu pris, A Tristran saut en mié le vis. Nu connoisoit de nule rien, Et Tristran le connoisoit bien. Fiert l’en l’escu, en mié la voie L’abat et le braz li peçoie. Devant les piez a la roïne Cil jut sanz lever sus l’eschine. Governal vit le forestier Venir des tres, sor un destrier, Qui vout Tristran livrer a mort En sa forest, ou dormoit fort. Grant aleüre a lui s’adrece, Ja ert de mort en grant destrece. Le fer trenchant li mist el cors, O l’acier bote le cuir fors. Cil chaï mort, si c’onques prestre N’i vint a tens ne n’i pot estre. Yseut, qui ert et franche et sinple, S’en rist doucement soz sa ginple. Gerflet et Cinglor et Ivain, Tolas et Coris et Vauvain Virent laidier lor conpaignons : « Seignors, fait Gaugains, que ferons ? Li forestier gist la baé. 84 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Saciez que cil dui sont faé. Ne tant ne quant nes connoisons : Or nos tienent il por bricons. 4065 Brochons a eus, alons les prendre. [125] — Quis nos porra, fait li rois, rendre Mot nos avra servi a gré. » Tristran se trait aval au gé Et Governal, outre passerent. 4070 Li autre sirre nes oserent, En pais remestrent, tuit destroit ; Bien penserent fantosme soit. As herberges vuelent torner, Qar laisié ont le bohorder. 4075 Artus la roïne destroie. Mot li senbla brive la voie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Qui la voie aloignast sor destre. Decendu sont a lor herberges. 4080 En la lande ot assez herberges : Mot en costerent li cordel. En leu de jonc et de rosel, Glagié avoient tuit lor tentes. Par chemins vienent et par sentes ; 4085 La Blanche Lande fu vestue, Maint chevalier i out sa drue. Cil qui la fu enz en la pree De maint grant cerf ot la menee. La nuit sejornent an la lande. 4090 Chascun rois sist a sa demande. Qui out devices n’est pas lenz : Li uns a l’autre fait presenz.   Ly rois Artus, aprés mengier, Au tref roi Marc vait cointoier, 4095 Sa privee maisnie maine. La ot petit de dras de laine, Tuit li plusor furent de soie. Des vesteüres que diroie ? [126] De laine i out, ce fu en graine, 4100 Escarlate cel drap de laine ; Mot i ot gent de riche ator, Nus ne vit deus plus riches corz : Mestier nen est dont la nen ait. Es pavellons ont joie fait. 4105 La nuit devisent lor afaire, Conment la franche debonere Se doit deraisnier de l’outrage, Voiant les rois et lor barnage.   Couchier s’en vait li rois Artus 4110 O ses barons et o ses druz. txm.bfm-corpus.org 85 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Maint calemel, mainte troïne, Qui fust la nuit en la gaudine Oïst an pavellon soner. Devant le jor prist a toner : 4115 A fermeté, fu de chalor. Les gaites ont corné le jor ; Par tot conmencent a lever, Tuit sont levé sanz demorer.   Li soleuz fu chauz sor la prime, 4120 Choiete fu et nielle et frime. Devant les tentes as deus rois Sont asenblé Corneualois : N’out chevalier en tot le reigne Qui n’ait o soi a cort sa feme. 4125 Un drap de soie, un paile bis Devant le tref au roi fu mis : Ovrez fu en bestes, menuz. Sor l’erbe vert fu estenduz. Li dras fut achaté en Niques. 4130 En Cornoualle n’ot reliques En tresor ne en filatieres, [127] En aumaires n’en autres bieres, En fiertres n’en escrinz n’en chases, En croiz d’or ne d’argent n’en mases, 4135 Sor le paile les orent mises, Arengies, par ordre asises. Li roi se traient une part, Faire i volent loial esgart. Li roi Artus parla premier, 4140 Qui de parler fu prinsautier : « Rois Marc, fait il, qui te conselle Tel outrage si fait mervelle : Certes, fait il, sil se desloie. Tu es legier a metre en voie, 4145 Ne dois croire parole fause. Trop te fesoit amere sause Qui parlement te fist joster. Mot li devroit du cors coster Et ennuier, qui voloit faire. 4150 La franche Yseut, la debonere, Ne veut respit ne terme avoir. Cil püent bien de fi savoir, Qui vendront sa deresne prendre, Que ges ferai encore pendre, 4155 Qui la reteront de folie Pus sa deresne, par envie : Digne seroient d’avoir mort. Or oiez, roi : qui ara tort, La roïne vendra avant, txm.bfm-corpus.org 86 Base de français médiéval — Béroul : Tristan 4160 Si qel veront petit et grant, Et si jurra o sa main destre, Sor les corsainz, au roi celestre Qu’el’onques n’ot amor conmune A ton nevo, ne deus ne une, [128] 4165 Que l’en tornast a vilanie, N’amor ne prist par puterie. Dan Marc, trop a ice duré : Qant ele avra eisi juré, Di tes barons qu’il aient pes. 4170 — Ha ! sire Artus, q’en pus je mes ? Tu me blasmes, et si as droit, Quar fous est qui envieus croit. Ges ai creüz outre mon gré. Se la deraisne est en cel pré, 4175 Ja n’i avra mais si hardiz, Se il aprés les escondiz En disoit rien se anor non, Qui n’en eüst mal gerredon. Ce saciez vos, Artus, frans rois, 4180 C’a esté fait, c’est sor mon pois. Or se gardent d’ui en avant ! » Li consel departent atant.   Tuit s’asistrent par mié les rens, Fors les deus rois. C’est a grant sens : 4185 Yseut fu entre eus deus as mains. Pres des reliques fu Gauvains ; La mesnie Artus, la proisie, Entor le paile est arengie. Artus prist la parole en main, 4190 Qui fu d’Yseut le plus prochain : « Entendez moi, Yseut la bele, Oiez de qoi on vos apele : Que Tristran n’ot vers vos amor De puteé ne de folor, 4195 Fors cele que devoit porter Envers son oncle et vers sa per. — Seignors, fait el, por Deu merci, [129] Saintes reliques voi ici. Or escoutez que je ci jure, 4200 De quoi le roi ci aseüre : Si m’aït Dex et saint Ylaire, Ces reliques, cest saintuaire, Totes celes qui ci ne sont Et tuit icil de par le mont, 4205 Qu’entre mes cuises n’entra home, Fors le ladre qui fist soi some, Qui me porta outre les guez, Et li rois Marc mes esposez. txm.bfm-corpus.org 87 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Ces deus ost de mon soirement, 4210 Ge n’en ost plus de tote gent. De deus ne me pus escondire : Du ladre, du roi Marc, mon sire. Li ladres fu entre mes janbes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4215 Qui voudra que je plus en face, Tote en sui preste en ceste place. »   Tuit cil qui l’ont oï jurer Ne püent pas plus endurer : « Dex ! fait chascuns, si fiere en jure : 4220 Tant en a fait aprés droiture ! Plus i a mis que ne disoient Ne que li fel ne requeroient : Ne li covient plus escondit Qu’avez oï, grant et petit, 4225 Fors du roi et de son nevo. Ele a juré et mis en vo Qu’entre ses cuises nus n’entra Que li meseaus qui la porta Ier, endroit tierce, outre les guez, 4230 Et li rois Marc, ses esposez. [130] Mal ait jamais l’en mesquerra ! »   Li rois Artus en piez leva, Li roi Marc a mis a raison, Que tuit l’oïrent li baron : 4235 « Rois, la deraisne avon veüe Et bien oïe et entendue. Or esgardent li troi felon, Donoalent et Guenelon, Et Goudoïne li mauvés, 4240 Qu’il ne parolent sol jamés. Ja ne seront en cele terre Que m’en tenist ne pais ne gerre, Des que j’orroie la novele De la roïne Yseut la bele, 4245 Que n’i allons a esperon Lui deraisnier par grant raison. — Sire, fait el, vostre merci ! » Mot sont de cort li troi haï. Les corz departent, si s’en vont. 4250 Yseut la bele o le chief blont Mercie mot le roi Artur. « Dame, fait il, je vos asur : Ne troverez mais qui vos die, Tant con j’aie santé ne vie, 4255 Nis une rien se amor non. Mal le penserent li felon. Ge prié le roi vostre seignor, txm.bfm-corpus.org 88 Base de français médiéval 4260 [131] 4265 — Béroul : Tristan Et feelment, mot par amor, Que mais felon de vos ne croie. » Dist li roi Marc : « Se jel faisoie D’or en avant, si me blasmez. » Li uns de l’autre s’est sevrez, Chascun s’en vient a son roiaume : Li rois Artus vient a Durelme, Rois Marc remest en Cornoualle Tristran sejorne, poi travalle.   Li rois a Cornoualle en pes, Tuit le criement et luin et pres. En ses deduiz Yseut en meine, 4270 De lié amer forment se paine. Mais, qui q’ait pais, li troi felon Sont en esgart de traïson. A eus fu venue une espie, Qui va querant changier sa vie. 4275 « Seignors, fait il, or m’entendez. Se je vos ment, si me pendez. Li rois vos sout l’autrier mal gré Et vos en acuelli en hé, Por le deraisne sa mollier. 4280 Pendre m’otroi ou essillier, Se ne vos mostre apertement Tristran, la ou son aise atent De parler o sa chiere drue. Il est repost, si sai sa mue. 4285 Qant li rois vait a ses deduis, Tristran set mot de Malpertuis, En la chanbre vet congié prendre. De moi faciez en un feu cendre, Se vos alez a la fenestre 4290 De la chanbre, derier a destre, Se n’i veez Tristran venir, S’espee çainte, un arc tenir, Deus seetes en l’autre main. Enuit verrez venir, par main. 4295 — Conment le sez ? — Je l’ai veü. [132] — Tristran ? — Je, voire, et conneü. — Qant i fu il ? — Hui main l’i vi. — Et qui o lui ? — Cil son ami. — Ami ? Et qui ? — Dan Governal. 4300 — Ou se sont mis ? — En haut ostal Se deduient. — C’est chiés Dinas ? — Et je que sai ? — Il n’i sont pas Sanz son seü ! — Asez puet estre. — Ou verron nos ? Par la fenestre 4305 De la chanbre ; ce est tot voir. txm.bfm-corpus.org 89 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Se gel vos mostre, grant avoir En doi avoir, quant l’en ratent. — Nomez l’avoir. — Un marc d’argent. — Et plus assez que la pramesse, 4310 Si nos aït iglise et messe. Se tu mostres, n’i puez fallir Ne te façon amanantir. — Or m’entendez, fait li cuvert, Et un petit pertus overt 4315 Endroit la chanbre la roïne. Par dedevant vet la cortine. Triés la chanbrë est grant la doiz Et bien espesse li jagloiz, L’un de vos trois i aut matin ; 4320 Par la fraite du nuef jardin Voist belement tresque au pertus. Fors la fenestre n’i aut nus. Faites une longue brochete, A un coutel, bien agüete ; 4325 Poigniez le drap de la cortine O la broche poignant d’espine. La cortine souavet sache Au pertuset (c’on ne l’estache), [133] Que tu voies la dedenz cler, 4330 Qant il venra a lui parler. S’eissi t’en prenz sol trois jorz garde, Atant otroi que l’en m’en arde, Se ne veez ce que je di. » Fait chascun d’eus : « Je vos afi 4335 A tenir nostre covenant. » L’espie font aler avant.   Lors devisent li qeus d’eus trois Ira premier voier l’orlois Que Tristran an la chanbre maine 4340 O celié qui seue est demeine. Otroié ont que Goudoïne Ira au premerain termine. Departent soi, chascun s’en vet, Demain savront con Tristran sert. 4345 Dex ! la franche ne se gardoit Des felons ne de lor tripot. Par Perinis, un suen prochain, Avoit mandé que l’endemain Tristran venist a lié matin : 4350 Li rois iroit a Saint Lubin.   Oez, seignors, quel aventure ! L’endemain fu la nuit oscure. Tristran se fu mis a la voie Par l’espesse d’un’espinoie. txm.bfm-corpus.org 90 Base de français médiéval — Béroul : Tristan 4355 A l’issue d’une gaudine Garda, vit venir Gondoïne : Et s’en venoit de son recet. Tristran li a fet un aget, Repost se fu an l’espinoi. 4360 « Ha ! Dex, fait il, regarde moi, Que cil qui vient ne m’aperçoive [134] Tant que devant moi le reçoive ! » En sus l’atent, s’espee tient. Goudoïne autre voie tient. 4365 Tristran remest, a qui mot poise. Ist du buison, cela part toise, Mais por noient ; quar cil s’esloigne, Qui en fel leu a mis sa poine. Tristran garda au luien, si vit 4370 (Ne demora que un petit) Denoalan venir anblant, O deus levriers, mervelles grant. Afustez est a un pomier. Denoalent vint le sentier 4375 Sor un petit palefroi noir. Ses chiens out envoié mover En une espoise un fier sengler. Ainz qu’il le puisen desangler, Avra lor mestre tel colee 4380 Que ja par mire n’ert sanee.   Tristran li preuz fu desfublez. Denoalen est tost alez ; Ainz n’en sout mot, quant Tristran saut. Fuïr s’en veut : mais il i faut : 4385 Tristran li fu devant trop pres. Morir le fist. Q’en pout il mes ? Sa mort queroit : cil s’en garda, Que le chief du bu li sevra. Ne li lut dire : « Tu me bleces. » 4390 O l’espee trencha les treces, En sa chauce les a boutees, Qant les avra Yseut mostrees, Qu’ele l’en croie qu’il l’a mort. D’iluec s’en part Tristran a fort. [135] 4395 « Ha ! las, fait il, qu’est devenuz Goudouïnë (or s’est toluz), Que vi venir orainz si tost ? Est il passez ? Ala tantost ? S’il m’atendist, savoir peüst 4400 Ja mellor gerredon n’eüst Que Donalan, le fel, enporte, Qui j’ai laisié la teste morte. » Tristran laise le cors gesant txm.bfm-corpus.org 91 Base de français médiéval — Béroul : Tristan Enmié la lande, envers, sanglent. 4405 Tert s’espee, si l’a remise En son fuerre, sa chape a prise, Le chaperon el chief se met, Sor le cors un grant fust atret, A la chanbre sa drue vint. 4410 Mais or oiez con li avint.   Goudoïne fu acoruz Et fu ainz que Tristran venuz. La cortine ot dedenz percie Vit la chanbre, que fu jonchie, 4415 Tot vit quant que dedenz avoit, Home fors Perinis ne voit. Brengain i vint, la damoisele, Ou out pignié Yseut la bele : Le pieigne avoit encor o soi. 4420 Le fel qui fu a la paroi Garda, si vit Tristran entrer, Qui tint un arc d’aubor. Li ber En sa main tint ses deus seetes, En l’autre deus treces longuetes. 4425 Sa chape osta, pert ses genz cors. Iseut, la bele o les crins sors, Contre lui lieve, sil salue. [136] Par sa fenestre vit la nue De la teste de Gondoïne. 4430 De grant savoir fu la roïne, D’ire tresue sa persone. Yseut Tristran en araisone : « Se Dex me gart, fait il, au suen, Vez les treces Denoalen. 4435 Ge t’ai de lui pris la venjance : Jamais par lui escu ne lance N’iert achatez ne mis en pris. — Sire, fait ele, ge q’en puis ? Mes prié vos que cest arc tendez, 4440 Et verron com il est bendez. » Tristran s’esteut, si s’apensa, Oiez ! en son penser tensa. Prent s’entente, si tendi l’arc. Enquiert noveles du roi Marc : 4445 Yseut l’en dit ce qu’ele en sot. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . S’il en peüst vis eschaper, Du roi Marc et d’Iseut sa per Referoit sordre mortel gerre. 4450 Cil, qui Dex doinst anor conquerre, L’engardera de l’eschaper. Yseut n’out cure de gaber : txm.bfm-corpus.org 92 Base de français médiéval — Béroul : Tristan « Amis, une seete encorde, Garde du fil qu’il ne retorde. 4455 Je voi tel chose dont moi poise. Tristran, de l’arc nos pren ta toise. » Tristran s’estut, si pensa pose, Bien soit q’el voit aucune chose Qui li desplaist. Garda en haut : 4460 Grant poor a, trenble et tresaut. [137] Contre le jor, par la cortine, Vit la teste de Godoïne : « Ha ! Dex, vrai roi, tant riche trait Ai d’arc et de seete fait : 4465 Consentez moi qu’a cest ne falle ! Un des trois feus de Cornoualle Voi, a grant tort, par la defors. Dex, qui le tuen saintisme cors Por le pueple meïs a mort, 4470 Lai moi venjance avoir du tort Que cil felon muevent vers moi ! » Lors se torna vers la paroi, Sovent ot entesé, si trait. La seete si tost s’en vait 4475 Rien ne peüst de lui gandir. Par mié l’uel la li fait brandir, Trencha le test et la cervele. Esmerillons ne arondele De la moitié si tost ne vole ; 4480 Se ce fust une pome mole, N’issist la seete plus tost. Cil chiet, si se hurte a un post, Onques ne piez ne braz ne mut. Seulement dire ne li lut : 4485 « Bleciez sui ! Dex ! confession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . » txm.bfm-corpus.org 93 Base de français médiéval txm.bfm-corpus.org — Béroul : Tristan 94